Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/482

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470 CHAPITRE XX. d’une multitude de causes ayant une sphère d’activité et un degré de généralité ou de particularité très variables, on n’est frappé d’abord que des irrégularités capricieuses ; puis, d’un examen plus attentif ressortent certains aperçus généraux, cer- taines conformités ou ressemblances singulières dans les arti- culations ou les terminaisons des continents 1. Qu’y a-t-il de fortuit dans ces ressemblances, qu’y a-t-il d’imputable à l’ac- tion d’une cause générale ? De quelle manière faut-il grouper et subordonner ces faits les uns aux autres ? L’esprit hésite plus ou moins, suivant qu’il a plus de circonspection ou de hardiesse. Les faits de même genre sont trop peu nombreux pour que l’élimination des causes accidentelles et perturba- trices puisse se faire avec certitude ; la statistique est inappli- cable, la théorie vraiment scientifique n’est point possible, mais l’induction philosophique ne saurait être pour cela né- gligée (42). On passe de la pure description, qui n’est point une science, qui s’applique à un ordre de connaissances compa- rable à tous égards à la connaissance historique et à des faits qui ne peuvent s’expliquer que par des précédents historiques, on passe de là, disons-nous, à la spéculation philosophique, et la force des choses y conduit, omisso medio, sans passer par l’intermédiaire de la formule scientifique. Il ne faut pas confondre les sciences naturelles descrip- tives avec l’histoire de la nature. L’anatomie descriptive est une science ; car elle emploie des classifications et des liens sys- tématiques qui relèvent principalement des lois générales et constantes de l’organisation, des conditions d’unité et d’har- monie de l’organisme, et non des faits accidentels et des pré- cédents dont l’histoire donnerait la clef. Si l’observation des faits conduit à une philosophie anatomique, elle n’y conduit ou ne doit y conduire que médiatement, après que les faits ont reçu la coordination scientifique dont ils sont susceptibles ; tandis qu’en ce qui touche la distribution géographique des animaux et des plantes, l’association des substances minérales dans les roches et dans les filons, la distribution des corps cé-

1 Ces analogies (instantiæ conformes), qui donnent lieu à ce qu’on pourrait appeler la philosophie géographique, ont été très bien signalées par Bacon (Nov. Org., Lib. II), en même temps que les analogies dans la composition des membres des animaux vertébrés, lesquelles ont servi de point de départ A la philosophie anatomique.