Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/58

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en évidence la part d’influence, si petite qu’elle soit, des causes régulières et constantes, comme cela arrive sans cesse dans l’ordre des phénomènes naturels et des faits sociaux.

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Il n’est donc pas exact de dire, avec Hume, que « le hasard n’est que l’ignorance où nous sommes des véritables causes, » ou, avec Laplace, que « la probabilité est relative en partie à nos connaissances, en partie à notre ignorance : » de sorte que, pour une intelligence supérieure qui saurait démêler toutes les causes et en suivre tous les effets, la science des probabilités mathématiques s’évanouirait, faute d’objet. Sans doute le mot de hasard n’indique pas une cause substantielle, mais une idée : cette idée est celle de la combinaison entre plusieurs systèmes de causes ou de faits qui se développent chacun dans sa série propre, indépendamment les uns des autres. Une intelligence supérieure à l’homme ne différerait de l’homme à cet égard qu’en ce qu’elle se tromperait moins souvent que lui, ou même, si l’on veut, ne se tromperait jamais dans l’usage de cette donnée de la raison. Elle ne serait pas exposée à regarder comme indépendantes des séries qui s’influencent réellement, ou, par contre, à se figurer des liens de solidarité entre des causes réellement indépendantes. Elle ferait avec une plus grande sûreté, ou même avec une exactitude rigoureuse, la part qui revient au hasard dans le développement successif des phénomènes. Elle serait capable d’assigner a priori les résultats du concours de causes indépendantes dans des cas où nous sommes obligés de recourir à l’expérience, à cause de l’imperfection de nos théories et de nos instruments scientifiques. Par exemple, étant donné un dé de forme déterminée, autre que le cube, ou dont la densité n’est pas uniforme, lequel doit être projeté un grand nombre de fois par des forces impulsives dont l’intensité, la direction et le point d’application sont déterminés à chaque coup par des causes indépendantes de celles qui agissent aux coups suivants, elle saurait (ce que nous ne savons pas) quel doit être à très-peu près le rapport entre le nombre des coups qui amèneront une face déterminée et le nombre total des coups ; et cette science aurait pour elle un objet certain, soit qu’elle connût les forces qui agissent et qu’elle en pût calculer les effets pour chaque coup particulier,