soit que cette connaissance et ce calcul surpassassent encore sa portée. En un mot, elle pousserait plus loin que nous et appliquerait mieux la théorie de ces rapports mathématiques, tous liés à la notion du hasard, et qui deviennent, dans l’ordre des phénomènes, autant de lois de la nature, susceptibles à ce titre d’être constatées par l’expérience ou l’observation statistiques. Il est vrai de dire en ce sens (comme on l’a répété si souvent) que le hasard gouverne le monde, ou plutôt qu’il a une part, et une part notable, dans le gouvernement du monde ; ce qui ne répugne nullement à l’idée qu’on doit se faire d’une direction suprême et providentielle : soit que la direction providentielle soit présumée ne porter que sur les résultats moyens et généraux que les lois mêmes du hasard ont pour résultat d’assurer, soit que l’intelligence suprême dispose des détails et des faits particuliers pour les coordonner à des vues qui surpassent nos sciences et nos théories. Que si nous restons dans l’ordre des causes secondaires et des faits observables, le seul auquel la science puisse atteindre, la théorie mathématique du hasard (dont les développements ne seraient pas à leur place ici) nous apparaît comme l’application la plus vaste de la science des nombres, et celle qui justifie le mieux l’adage : mundum regunt numeri. En effet, quoi qu’en aient pensé certains philosophes, rien ne nous autorise à croire qu’on puisse rendre raison de tous les phénomènes avec les notions d’étendue, de temps, de mouvement, en un mot, avec les seules notions des grandeurs continues sur lesquelles portent les mesures et les calculs du géomètre. Les actes des êtres vivants, intelligents et moraux ne s’expliquent nullement, dans l’état de nos connaissances, et il y a de bonnes raisons de croire qu’ils ne s’expliqueront jamais par la mécanique et la géométrie. Ils ne tombent donc point, par le côté géométrique ou mécanique, dans le domaine des nombres, mais ils s’y retrouvent placés, en tant que les notions de combinaison et de chance, de cause et de hasard, sont supérieures,
Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/59
Apparence