Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/60

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dans l’ordre des abstractions, à la géométrie et à la mécanique, et s’appliquent aux phénomènes de la nature vivante comme à ceux que produisent les forces qui sollicitent la matière inorganique ; aux actes réfléchis des êtres libres, comme aux déterminations fatales de l’appétit et de l’instinct.

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À la vérité, les géomètres ont appliqué leur théorie des chances et des probabilités à deux ordres de questions bien distinctes, et qu’ils ont parfois mal à propos confondues : à des questions de possibilité, qui ont une valeur tout objective, ainsi qu’on vient de l’expliquer, et à des questions de probabilité, dans le sens vulgaire du mot, qui sont en effet relatives, en partie à nos connaissances, en partie à notre ignorance. Quand nous disons que la probabilité mathématique d’amener un sonnez au jeu de tric-trac est la fraction 1/36, nous pouvons avoir en vue un jugement de possibilité, et alors cela signifie que, si les dés sont parfaitement réguliers et homogènes, de manière qu’il n’y ait aucune raison prise dans leur structure physique pour qu’une face soit amenée de préférence à l’autre, le nombre des sonnez amenés dans un grand nombre de coups, par des forces impulsives dont la direction variable d’un coup à l’autre est absolument indépendante des points inscrits sur les faces, sera sensiblement un 36e du nombre total des coups. Mais nous pouvons aussi avoir en vue un jugement de simple probabilité, et alors il suffit que nous ignorions si les dés sont réguliers ou non, ou dans quel sens agissent les irrégularités de structure si elles existent, pour que nous n’ayons aucune raison de supposer qu’une face paraîtra plutôt que l’autre. Alors l’apparition du sonnez, pour laquelle il n’y a qu’une combinaison sur 36, sera moins probable relativement à nous que celle du point deux et as, en faveur de laquelle nous comptons deux combinaisons, suivant que l’as se trouve sur un dé ou sur l’autre ; bien que ce dernier événement soit peut-être physiquement moins possible ou même impossible. Si un joueur parie pour sonnez et un autre pour deux et as, en convenant de regarder comme nuls les coups qui n’amèneraient pas l’un ou l’autre de ces points, il n’y aura pas moyen de régler leurs enjeux autrement que dans le rapport d’un à deux ; et l’équité sera satisfaite par ce règlement, aussi bien qu’elle pourrait l’être si l’on était certain d’une parfaite