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LE ROMAN D’HIPPOLYTE

et finit par la pénétrer d’une inexprimable amertume. Quelle douleur, quel irréparable deuil si cet être d’élite allait disparaître tout entier sans que nulle âme, sortie de la sienne, dût lui ressembler un jour et reprendre le flambeau de son noble rêve ?

Sa pensée s’égarait dans les noirs pressentiments. Cette crainte de le voir partir, auréolé de gloire, mais sans rejeton ; tant de vertus charmantes anéanties à jamais avec leurs précieuses semences, un destin si injuste, un tel crime de la mort ! cette idée ne cessait plus de hanter la tendre femme. Et, peu à peu, du fond de son être déchiré, montait une aspiration de lutter contre le néant, une espérance folle, fébrile de le vaincre !

Oui, un dessein inouï germait en elle : celui de conjurer l’irrémédiable dans le malheur en créant de la vie avec son amoureuse pitié !

Son cœur battait à coups sonores. Elle frémissait, bouleversée d’une angoisse qui ébranlait sa raison…

Soudain, à bout d’énervement et de désolation, elle sauta à bas de sa couche. Tous ses scrupules étaient emportés dans les flots de tendresse qui bouillonnaient au fond de sa poitrine. Elle ne vivait plus que sous l’influence despotique de l’heure, oubliant ce qu’elle était, sa fidélité irréprochable, ses jolies vertus. L’honnête petite bourgeoise se libérait des religions coutumières, n’acceptait plus d’autre juge que sa seule conscience. Ce soir, elle comprenait qu’il y a une morale supérieure à la morale de convention, si