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xiv
DISCOURS

d’idées & de ſentimens, qu’il lui fit un beſoin de les exprimer, qu’il l’environna de modèles propres à le diriger dans cette expreſſion.

Mais il eſt en même tems l’effet de l’induſtrie humaine, en ce que l’homme ſut déveloper ces organes, imiter ces modèles, ſuivre les combinaiſons dont ils étoient ſuſceptibles, & ſur un petit nombre de mots radicaux donnés par la Nature, élever cette maſſe immenſe de mots qui nous étonnent, & que la vie la plus longue ne peut épuiſer, lorſqu’on ne ſait pas les ramener à leurs premiers principes.

Il n’eſt cependant pas l’effet de la convention, puiſqu’il eſt celui de l’imitation donnée par la Nature & par les beſoins qu’elle nous faiſoit ſentir ; & qu’il ſeroit impoſſible à des êtres qui ne parlent pas, & qui n’ont aucune idée de cet Art, de convenir d’un Langage intelligible, & de former des mots quelconques.

Il n’eſt pas non plus l’effet d’une imitation lente & qui procédoit au hazard & à tâtons, puiſque dès les premiers inſtans l’homme eut beſoin de parler, qu’il avoit déjà les organes & les modèles du Langage, & que la Nature ſ’avance toujours à ſes fins d’une manière ferme, rapide & ſûre. Le ſentiment lui faiſoit trouver le cri ou le ſon néceſſaire pour l’exprimer ; l’idée lui faiſoit trouver le ton néceſſaire pour la rendre ſenſible.

La perfection du Langage & la multiplication des mots pour exprimer les idées factices, dépendirent ſeules de l’induſtrie humaine, & d’une convention tacite ; mais il y avoit une diſtance prodigieuſe d’ici à la naiſſance du Langage, déjà formé par la nature de l’homme & déterminé par ſes beſoins.

Lorſque nous diſons que le Langage naquit par imitation, nous ne prenons pas ce mot dans le ſens le plus reſſerré, comme ſi l’on