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Adèle.

C’est au-dessus.

Le monsieur.

Merci.

Adèle redescend en scène et vient ouvrir à André.
Adèle.

Quelqu’un qui se trompe.

C’est tout. Toujours sans ouvrir la bouche, André vient reprendre sur sa chaise longue, sa position et son ouvrage, tandis qu’Adèle, près du guéridon, reprend sa chaise et ses ciseaux. — La scène redevient exactement ce qu’elle était au lever de la toile. — Nouveau silence suivi d’une nouvelle œillade exaspérée jetée par Adèle à André, qui s’est remis à fredonner le refrain du Forgeron de la Paix.
André, rappelé à l’ordre.

Pardon.

Il se tait. Nouveau temps, grincement de ciseaux entre des froufrous d’étoffe, etc.; etc. — Coup de sonnette.
André.

Zut !

Recommencé de la scène déjà vue, nouvelle retraire précipitée d’André en son sous-sol de bahut ; et nouvelle passade d’Adèle qui retourne ouvrir la porte du palier.


Un monsieur, sur le carré.

Monsieur Trouille ?

Adèle.

C’est au-dessous.

Le monsieur.

Merci.

Rentrée en scène d’Adèle.
Adèle, écartant les panneaux du bahut.

Quelqu’un qui se trompe.

André, agacé.

Encore !… Ça va durer longtemps ?

Adèle.

Non, mais prends-t’en à moi, pendant que tu y es.

André, en scène.

Je ne m’en prends pas à toi.

Adèle.

Si… Je dirai même que depuis quelque temps tu as une fâcheuse tendance à m’imputer des responsabilités dans lesquelles je n’ai rien à voir, et à me faire payer les erreurs des personnes qui se trompent d’étage.

André.

Tu trouves ?

Adèle.

Oui, je trouve.

André.

Eh bien, sache-le : cet état de choses ne m’est plus supportable. Ce buffet m’aigrit !

Adèle.

D’abord, c’est un bahut.

André.

C’est juste. Je te fais mes excuses.

Adèle.

Et puis, toi aussi, sache-le : tu es profondément injuste ; et avec moi, qui fais des miracles, tu le sais bien, pour écourter autant que possible tes heures de captivité, et (Montrant le bahut.) avec lui, qui te donne une hospitalité… relativement confortable. En somme, quoi ? Tu y as de la lumière dans ce bahut ; une chaise pour t’y asseoir, une table pour y lire. Qu’est-ce qu’il te faut de plus ? Une pièce d’eau ? Ah ! que voilà donc bien les exigences des hommes !

André.

Et que voilà donc bien, surtout, les exagérations des femmes !… Il ne s’agit pas d’une pièce d’eau ; il s’agit que mes parents ne m’ont pas donné la vie pour que je la passe dans un bahut. Sois sincère, voyons ; est-ce vrai ?… Autre chose : s’il est déplorable au point de vue de la commodité, ce meuble est excellent au point de vue de l’acoustique…

Adèle, intriguée.

Si bien ?

André.

Si bien que le silence de ma solitude y est de temps en temps troublé… par des échos fort importuns, dont je me priverais, je te prie de le croire, le plus facilement du monde. — Je t’aime, après tout !

Adèle, émue.

Pauvre chat !… (Un temps.) Le buffet de la salle à manger n’avait pas cet inconvénient.

André.

Non, mais il en avait un autre : j’en sortais imprégné d’odeurs de nourriture qui se cramponnaient à ma personne avec une ténacité au-dessus de tout éloge… au point que je ne pouvais plus mettre le pied dehors sans me buter à des gens de connaissance qui me humaient comme un plat et finissaient par s’écrier : « C’est curieux, depuis quelque temps, comme vous sentez la poire cuite ! »

Adèle rit.
André, vexé.

Je sais que cela est fort plaisant. Seulement, je te le répète : je commence à avoir plein le dos de cette existence de lapin perpétuellement aux aguets et qui ne sort de son terrier que pour s’y reprécipiter à la première alerte. Ma dignité y reste… et ma confiance aussi.

Adèle.

Ta confiance en qui ?