Page:Courteline - Bourbouroche. L'article 330. Lidoire. Les balances. Gros chagrins. Les Boulingrin. La conversion d'Alceste - 1893.djvu/25

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André.

En toi.

Adèle.

Conclusion aussi flatteuse qu’inattendue.

André.

Elle est logique. Raisonnons. Voilà huit ans que cette plaisanterie dure ; huit ans que tu bernes grossièrement…

Adèle.

À ton profit, je te ferai observer.

André.

… un brave garçon, qui, après tout, ne t’avait pas prise de force. Et, à l’accomplissement de cette tâche, tu as déployé, chère enfant, une telle intelligence que tu m’en vois épouvanté !…

Adèle.

Tu vas peut-être me reprocher de sacrifier à notre amour cet imbécile de Boubouroche ?

André.

Non, mais quand j’envisage les trésors de rouerie, d’audace tranquille, de sournoiserie ingénieuse, que tu as dû jeter par les fenêtres pour mener à bonne fin une mauvaise action, j’en arrive à me demander si je ne suis pas, moi aussi, le Boubouroche de quelqu’un, et si une femme assez adroite pour cacher un second amant à un premier en le logeant dans un bahut n’en cache pas au second un troisième, en le fourrant dans un coffre à bois.

Adèle.

André !

André.

Tu n’empêcheras jamais les gens qui aiment d’être jaloux.

Adèle.

Tu n’as pas à être jaloux de moi.

André.

Je ne t’accuse pas.

Adèle.

Tu me soupçonnes.

André, très sincère.

À peine, ma parole d’honneur !

Adèle.

C’est encore mille fois trop. Qu’ai-je fait ? Où est mon crime ? Je t’ai préféré à un autre. Après ? Or, cet autre, je le connais, tu ne pèserais pas lourd, dans ses doigts, et si j’ai eu assez d’adresse pour empêcher que tu y tombes, tu devrais t’en féliciter au lieu de marchander bêtement, comme tu le fais, les moyens dont j’ai dû me servir.

André.

Je n’ai pas peur de lui, un homme en vaut un autre.

Adèle.

Oui ? Eh bien ! qu’il nous pince !…

André.

Il nous pincera.

Adèle.

Jamais !…

André.

Tais-toi donc ; je te dis que nous serons pincés ; c’est sûr. (Adèle hausse l’épaule.) Bon !… Tu verras. (Tirant sa montre.) Du reste, ce ne sera pas aujourd’hui. Neuf heures et demie dans un instant ; Boubouroche ne viendra plus. — Nous nous couchons ?

Adèle.

Ce ne serait peut-être pas prudent. Attendons encore dix minutes.

André.

Si tu veux.

Il regagne sa chaise longue. Adèle reprend son ouvrage et la scène, une fois de plus, retrouve son aspect primitif. Silence. — Violent coup de sonnette.
André.

Cette fois, c’est lui !

Disparition dans le bahut. — Adèle va ouvrir.


Scène II

ADÈLE, BOUBOUROCHE, ANDRÉ (caché)
Boubouroche entre comme un fou, descend en scène, se rend à la porte de droite, qu’il ouvre, plonge anxieusement ses regards dans l’obscurité de la pièce à laquelle elle donne accès ; va de là, à la fenêtre de gauche, dont il écarte violemment les rideaux.
Adèle, qui l’a suivi des yeux avec une stupéfaction croissante.

Regarde-moi donc un peu.

Boubouroche, les poings fermés, marche sur elle.
Adèle, qui, elle, vient sur lui avec une grande tranquillité.

En voilà une figure !… Que se passe-t-il ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Boubouroche., d’une voix étranglée.

Il y a que tu me trompes.

Adèle.

Je te trompe !… Comment, je te trompe ?… Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

Boubouroche.

Je veux dire que tu te moques de moi ; que tu es la dernière des coquines et qu’il y a quelqu’un ici.