Page:Courteline - Bourbouroche. L'article 330. Lidoire. Les balances. Gros chagrins. Les Boulingrin. La conversion d'Alceste - 1893.djvu/27

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ce que je disais !… (Effarement ahuri de Boubouroche.) De deux choses l’une ; tu as vu double ou tu me cherches querelle.

Boubouroche, troublé et qui commence à perdre sa belle assurance.

Enfin, ma chère amie, voilà ! Moi… on m’a raconté des choses.

Adèle, ironique.

Et tu les as tenues pour parole d’Évangile ? Et l’idée ne t’est pas venue un seul instant d’en appeler à la vraisemblance ? aux huit années de liaison que nous avons derrière nous ? (Silence embarrassé de Boubouroche.) C’est délicieux ! En sorte que je suis à la merci du premier chien coiffé venu… Un monsieur passera, qui dira : « Votre femme vous est infidèle », moi je paierai les pots cassés ; je tiendrai la queue de la poêle ?

Boubouroche.

Mais…

Adèle.

Détrompe-toi.

Boubouroche, à part.

J’ai fait une gaffe.

Adèle., pâle d’indignation.

Celle-là est trop forte, par exemple. (Tout en parlant, elle est revenue au guéridon et elle y a pris la lampe, qu’elle apporte à Boubouroche.) Voici de la lumière.

Boubouroche.

Pour quoi faire ?

Adèle.

Pour que tu ailles voir toi-même. Ne fais donc pas l’étonné.

Boubouroche, se dérobant.

Tu n’empêcheras jamais les gens qui aiment d’être jaloux.

Adèle.

Tu l’as déjà dit.

Boubouroche.

Moi ?… Quand ça ?

Adèle, à part.

Oh ! (Haut.) Tu m’ennuies !… Je te dis de prendre cette lampe… (Boubouroche prend la lampe.)… et d’aller voir. Tu connais l’appartement, hein ? Je n’ai pas besoin de t’accompagner ?

Boubouroche, convaincu.

Ne sois donc pas méchante, Adèle. Est-ce que c’est ma faute à moi, si on m’a collé une blague ? Pardonne-moi, et n’en parlons plus.

Adèle, moqueuse.

Tu sollicites mon pardon ?… C’est bizarre !… Ce n’est donc plus à moi de mériter le tien par mon repentir et par ma bonne conduite ?… (Changement de ton.) Va toujours, nous verrons plus tard. Comme, au fond, tu es plus naïf que méchant, il est possible — pas sûr, pourtant — que je perde, — moi — un jour, le souvenir de l’odieuse injure que tu m’as faite. Mais j’exige… — tu entends ? j’exige ! que tu ne quittes cet appartement qu’après en avoir scruté, fouillé, l’une après l’autre chaque pièce. — Il y a un homme ici, c’est vrai.

Boubouroche, goguenard.

Mais non.

Adèle.

Ma parole d’honneur. (Indiquant de son doigt le bahut où est enfermé André.) Tiens, il est là-dedans ! (Boubouroche rigole.) Viens donc voir.

Boubouroche, au comble de la joie.

Tu me prendrais pour une poire !…

Adèle.

Voici la clé de la cave.

Boubouroche, les yeux au ciel.

La cave !…

Adèle.

Tu me feras le plaisir d’y descendre…

Boubouroche.

Tu es dure avec moi, tu sais.

Adèle.

… et de regarder entre les tonneaux et les murs. Ah ! je te fais des infidélités ?… Ah ! je cache des amants chez moi ?… Eh ! bien, cherche, mon cher, et trouve !

Boubouroche.

Allons ! Je n’ai que ce que je mérite.

La lampe au poing, il va lentement, non sans se retourner de temps en temps pour diriger vers Adèle, qui demeure impitoyable et muette, des regards suppliants de phoque, jusqu’à la petite porte de droite, qu’il atteint enfin et qu’il pousse. — Coup d’air. La lampe s’éteint.
Boubouroche.

Bon !

Mais à la seconde précise où l’ombre a envahi le théâtre, la lumière de la bougie qui éclaire la cachette d’André est apparue, très visible.
Adèle, étouffant un cri.

Ah !

Boubouroche, à tâtons.

Voilà une autre histoire. — Tu as des allumettes, Adèle ? (Brusquement.) Tiens !… Qu’est-ce que c’est que ça ?… de la lumière !

Précipitamment, il dépose sa lampe ; court au bahut, l’ouvre tout grand et se recule en poussant un cri terrible.