Page:Courteline - Bourbouroche. L'article 330. Lidoire. Les balances. Gros chagrins. Les Boulingrin. La conversion d'Alceste - 1893.djvu/31

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Boubouroche.

Ce n’est pas la peine, je ne m’en irai pas.

Adèle.

Tu n’es pas raisonnable.

Boubouroche.

Je m’en fiche.

Adèle, résignée.

C’est bien. Reste.

Adèle remonte vers la gauche du théâtre, vient à la fenêtre, en soulève le rideau et regarde ce qui se passe dans la rue.
Un temps.
Boubouroche, sur sa chaise longue, continue à pleurer, la figure dans le mouchoir.
Enfin :
Adèle.

Alors, tu me pardonnes ?

Boubouroche, de la tête, dit : « Oui. »
Adèle.

Réponds mieux que ça. Tu me pardonnes ?

Boubouroche, d’une voix étranglée.

Oui.

Adèle.

Tu me pardonnes de tout ton cœur ?

Boubouroche.

Je te pardonne de tout mon cœur.

Adèle.

Et tu ne reparleras jamais de cette abominable soirée ?

Boubouroche.

Jamais.

Adèle.

Tu me le jures ?

Boubouroche.

Je te le jure.

Adèle.

Bon. — Eh bien ! je ne t’ai pas trompé. Tu me croiras peut-être, à présent que je n’ai plus d’intérêt à mentir. (S’emparant de ses deux mains.) Regarde-moi dans les yeux. Ai-je l’air, oui ou non, d’une femme qui dit la vérité ?… Ah ! le nigaud, qui gâche sa vie pour le seul plaisir de le faire et ne songe pas à se dire : « C’est trop bête ! Voilà huit ans que cette maison est la mienne, et que cette femme vit au grand jour ! » Franchement, quand as-tu eu à te plaindre de moi ?… N’ai-je pas été pour toi la plus douce des maîtresses ? la plus patiente et… — il faut bien le dire ! — … la plus désintéressée ?

Boubouroche.

Si.

Adèle.

Et un tel passé s’écroulerait ? et des heures vécues en commun, et des caresses échangées, et de tout ce qui fut notre amour, rien ne subsisterait en ta mémoire, parce qu’une fatalité imbécile te fait trouver (Méprisante.) dans un bahut, un homme… que tu ne connais même pas ?… — Un doute reste en ton esprit !

Boubouroche.

Non.


LE MONSIEUR. — Voulez-vous me lâcher !
Adèle.

Ne dis pas « non », je le sens. Eh bien ! je ne veux plus de toi à moi le plus petit équivoque, la moindre arrière-pensée. Je sais de quel prix je puis payer ta tranquillité définitive : c’est cher, mais je suis disposée à tout, même à te livrer, si tu l’exiges, un secret qui n’est pas le mien. Dois-je commettre cette infamie ? Un mot, c’est fait.

Boubouroche.

Pour qui me prends-tu ? Je suis un honnête homme, les affaires des autres ne me regardent pas.

Adèle.

Embrasse-moi, je pourrais te faire des reproches, mais tu as eu assez de chagrin comme ça. Seulement, conviens que tu as été absurde.

Elle offre sa joue au baiser de la réconciliation.
À ce moment :
Boubouroche, d’une voix de tonnerre.

Ah ! chameau !!

Adèle, terrifiée

Moi ?

Boubouroche, tendrement ému.

T’es bête, mon chat !… (Il l’embrasse.) Un instant.

Il se lève, va prendre son chapeau, s’en coiffe et se dirige vers le fond.
Adèle, étonnée.

Qu’est-ce que tu fais ?