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que c’est que ces gens-là ?… Qu’est-ce que c’est que ces gens-là ? Fuyons avec célérité.

BOULINGRIN, s’approchant de lui.

Monsieur des Rillettes ?

DES RILLETTES.

Monsieur ?

BOULINGRIN.

J’ai des excuses à vous faire. Je crains de m’être laissé aller à un fâcheux emportement et de ne pas vous avoir traité avec les égards voulus.

DES RILLETTES, jouant la surprise.

Quand cela ? Où ?

BOULINGRIN.

Tout à l’heure. Ici.

DES RILLETTES.

Je ne sais ce que vous voulez dire. Vous avez été, au contraire, d’une correction irréprochable, et je suis touché au plus haut point de votre excellent accueil. (Boulingrin, souriant et confus, lui serre chaleureusement la main.) Adieu.

BOULINGRIN.

Quoi ! déjà ?

DES RILLETTES.

Hélas, oui. Je suis appelé au dehors par une affaire des plus pressantes, et je dois prendre congé de vous.

BOULINGRIN.

Vous plaisantez.

DES RILLETTES.

Du tout.

BOULINGRIN.

Allons, vous aller accepter un rafraîchissement.

DES RILLETTES.

N’en croyez rien.

BOULINGRIN.

Si fait, si fait, nous ne nous quitterons pas sans avoir bu un coup et choqué le verre à notre bonne amitié. (Geste de des Rillettes.) N’insistez pas, vous me blesseriez. (Il sonne.) Je croirais que vous avez de la rancune contre moi. (À la bonne qui apparaît.) Allez me chercher une bouteille de Champagne.

FÉLICIE.

Bien, m’sieu.

Elle sort.
DES RILLETTES, consentant à capituler.

Enfin !…

BOULINGRIN, ravi.

Ah !

DES RILLETTES.

J’accepte votre invitation pour ne pas vous désobliger, mais j’entends ne plus être mêlé à vos dissensions intestines. Elles sont sans intérêt pour moi et me mettent dans des positions fausses, — sans parler des boutons de mon habit qui y restent, et de mes fesses, qui s’en ressentent.

BOULINGRIN.

Marché conclu.

DES RILLETTES, la main tendue.

Tope !

BOULINGRIN, tapant.

Tope !

DES RILLETTES.

En ce cas, asseyons-nous

Ils prennent chacun une chaise, s’installant près l’un de l’autre, et, souriants, se contemplent un instant en silence. À la fin :
BOULINGRIN, avec empressement.

J’ai idée, monsieur des Rillettes, que nous allons faire à nous deux, une solide paire d’amis.

DES RILLETTES.

C’est aussi mon avis.

BOULINGRIN.

Vous m’êtes fort sympathique. (Geste discret de des Rillettes.) Je vous le dis comme je le pense. Sans doute, j’apprécie vivement l’agrément de votre causerie, pleine d’aperçus ingénieux, fertile en piquantes anecdotes et en mots à l’emporte-pièce, mais une chose surtout me plaît en vous : le parfum de franchise, de droiture, qui émane de votre personne. Gageons que la sincérité est votre vertu dominante ?

DES RILLETTES, modeste mais juste.

Forcé d’en convenir.

BOULINGRIN.

À merveille ! Nous allons l’établir sur l’heure. Donnez-moi votre parole d’honneur de répondre sans ambages, sans détours et sans faux-fuyants, à la question que je vais vous poser.

DES RILLETTES.

Je vous la donne.

BOULINGRIN.

Bien. Dites-moi. Tout de bon, là, le cœur sur la main, croyez-vous que depuis la naissance du monde on vit jamais rien de comparable, comme ignominie, comme horreur, comme infamie, comme abjection, à la figure de ma femme ?

DES RILLETTES, se levant.

Ça recommence !

BOULINGRIN, le forçant à se rasseoir.

Ah ! vous en convenez !

DES RILLETTES.

Permettez.

BOULINGRIN.

Et encore, si ce n’était