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Page:Courteline - Bourbouroche. L'article 330. Lidoire. Les balances. Gros chagrins. Les Boulingrin. La conversion d'Alceste - 1893.djvu/86

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BOULINGRIN.

Certes, je puis le dire à voix haute : au cours de ma longue carrière, j’ai entendu bien des crétins proférer des extravagances. Ça ne fait rien, je veux que mon visage se couvre de pommes de terre, si j’ai jamais, au grand jamais, ouï la pareille insanité !

DES RILLETTES.

Ah ! mais pardon !

BOULINGRIN.

Raison !

DES RILLETTES.

Voulez-vous me permettre ?

BOULINGRIN.

Raison !

DES RILLETTES.

Écoutez-moi.


BOULINGRIN. — Vous voulez donc que je vous extermine ?
BOULINGRIN, hors de lui.

Une trique ! Qu’on m’apporte une trique ! Je veux casser les reins à M. des Rillettes, car la patience a des limites et, à la fin, ceci passe la permission. Comment ! Voilà une bougresse, fille de voleurs, voleuse elle-même, qui me fait tourner en bourrique, m’écorche, me larde, me fait cuire à petit feu, et c’est elle qui a raison !… une gueuse qui me suce le sang, me ronge le cerveau, le poumon, les reins, les pieds, le foie, la rate, l’œsophage, le pancréas, le péritoine et l’intestin, et c’est elle qui a raison !

DES RILLETTES.

Voyons…

MADAME BOULINGRIN.

Ne faites pas attention, il est fou.

MONSIEUR BOULINGRIN.

Raison !… Vous dites qu’elle a raison parce que vous parlez sans savoir, comme une vieille bête que vous êtes.

DES RILLETTES, assez sec.

Trop aimable.

BOULINGRIN.

… Mais si vous étiez à ma place, vous changeriez d’opinion. Oui, ah ! je voudrais bien vous y voir ! Vous en feriez une, de bouillotte, si on vous mettait à la broche avec une gousse d’ail sous la peau et qu’on vous foute ensuite à roter devant le feu, depuis le premier janvier jusqu’à la saint Sylvestre.

DES RILLETTES.

Comment ! à roter devant le feu !…

BOULINGRIN, se reprenant.

À rôtir… Je ne sais plus ce que je dis.

MADAME BOULINGRIN.

Il est fou à lier.

BOULINGRIN.

Fou à lier ?… Gueuse ! scélérate ! Plaie de ma vie ! (Saisissant des Rillettes par un bouton de sa redingote et le secouant comme un prunier.) Mais monsieur, jusqu’à mon manger !… où elle fourre de la mort aux rats, histoire de me ficher la colique !

Le bouton saute.
MADAME BOULINGRIN.

Quel toupet ! (Saisissant des Rillettes par un second bouton, qui saute, d’ailleurs, comme le premier.) C’est lui, au contraire, qui met des bouchons dans le vin, afin de le rendre imbuvable !

BOULINGRIN.

Menteuse !

MADAME BOULINGRIN.

Je mens ? C’est bien simple.

Elle sort.


Scène IV

BOULINGRIN, DES RILLETTES.
BOULINGRIN.

C’est ça ! File, que je ne te revoie plus !… que je n’entende plus parler de toi !

DES RILLETTES, à part.

Qu’est-ce