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Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/104

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confesser dans un timide sourire qu’il avait une pièce sur chantier, pour qu’à l’instant même, l’imagination perpétuellement en quête d’horizons inexplorés du terrible Frédéric Hamiet s’effarât et s’écriât : « Terre ! Terre ! »

— Quoi, s’exclama ce personnage, vous faites du théâtre et vous ne le dites pas !

— Je ne pensais pas que cela pût vous intéresser, répondit, un peu étonné, l’auteur de Madame Brimborion.

Et comme il ajoutait, un dédain dans la voix : « Une misérable opérette » :

— Vous en parlez à votre aise, reprit l’autre ; l’opérette n’est pas un mets si dédaignable. Pour mon compte, je m’en suis régalé assez de fois ! – Mon cher, écoutez bien ceci : il n’est pas de genres inférieurs ; il n’est que des productions ratées. Demander strictement aux choses les qualités qu’elles ont la prétention d’avoir, tout le sens critique tient là-dedans !

Il dit, et le mot l’enleva comme un tremplin. On vit alors à quel point il est vrai qu’un fou peut n’être pas un sot. Lâché par les dédales d’une théorie farouche qui mettait le moins et le plus sur un pied d’égalité, il déploya à la soutenir des argumentations aussi désespérément absurdes que puissamment convaincantes, exaltant avec une égale chaleur les splendeurs des Burgraves et celles du Petit Faust ; magnifiant à la fois le Cantique des Cantiques et le Chapeau de paille d’Italie, agitant dans une même salade Ferdinand le noceur, l’Iliade, le Père Goriot, le Cid, Madame Bovary et les Pensées d’un Emballeur : huant Meyerbeer, glorifiant Offenbach, sifflant Zaïre, acclamant Champignol, affirmant, en un mot, la supériorité du bouffon qui divertit sur le tragique qui n’émeut pas : conclusion dont la témérité n’était déjà pas si bête, bien qu’elle