Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que ces deux mots, pourtant bien simples, prenaient dans la bouche de celui qui les avait prononcés on ne sait quelle acception spéciale, évoquaient dans l’esprit de celui qui les avait entendus on ne sait quelle idée de colossal, de gigantesque et d’inouï.




— Mais… hasarda-t-il.

— Jamais de la vie ! reprit Stéphen Hour. Pas si bête ! Qui veut ma musique la paye ! Je fais mes conditions d’abord.

Et il les fit, ses conditions ; et le projet, à l’instant même, sombra dans l’irréalisable, échoué aux prétentions insensées de l’artiste qui exigeait froidement une prime de 10.000 francs payable dans les vingt-quatre heures, un minimum garanti de cent cinquante représentations, l’insertion dans vingt grands journaux de son portrait avec biographie détaillée, étude critique, tout le diable et son train ; – plus, bien entendu, l’engagement de divers chanteurs et chanteuses qu’il se réservait de désigner.

— Caruso et Delna, par exemple, fit Hamiet.

Il avait prononcé ces mots avec le sérieux le mieux joué : il demeura estomaqué à entendre Hour déclarer avec la bonne foi la moins feinte que Caruso manquait de fantaisie et que Delna était trop marquée pour le rôle. Pas un instant la supposition d’une raillerie n’eût pu visiter ce cerveau où la folie de l’orgueil trônait, aveugle et saoule de toute-puissance, comme une impératrice d’Orient. Cozal avait refréné un léger mouvement d’impatience.

— Eh ! laissons cette question ! fit-il, je sais les intentions de mon ami et son désir de bien faire ; donc, sur ce point, aucune difficulté à craindre. Hour, à vous d’y mettre du vôtre ! Comment, je déniche l’oiseau rare, le directeur de nos rêves,