Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/149

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Dans l’entre-bâillement de la porte, Louise passe sa tête de souris.

— Madame.

— Je sors. Si Monsieur est ici avant moi : je serai de retour à midi.

— Il fait un temps abominable. Madame va être trempée.

— Je vais à deux pas : au Printemps.

Marthe dit et s’en va.

— Lâche !… Lâche !

Dehors, la pluie tombe : une pluie d’automne, fine, pénétrante, qui raye d’insensibles hachures les trous noirs des portes cochères ; des fiacres passent qui éclaboussent ; et du haut de son siège, un cocher de l’Urbaine regarde, résigné, couler devant son nez le fil d’eau échappé à la glissante pente de son chapeau de cuir bouilli. Par la rue de la Chaussée-d’Antin, elle s’achemine vers la Trinité dont fuse le maigre clocher vers la galopade des nuages. Dans une main, son parapluie ; dans l’autre, saisi à pleins doigts, un pli de sa jupe qu’elle retrousse, soulevant comme un rideau d’alcôve sur son bas parsemé de fleurettes minuscules. Elle file au ras des boutiques ; ses petits pieds, qu’elle avance avec précaution, délicatement, la pointe en bas, suivent l’étroit sentier dont la saillie des hauts balcons de pierre surgis du ventre des maisons sauvegarde et protège la sécheresse.

La place de la Trinité n’est qu’une mare couleur de vin doux, d’où, çà et là, émergent les chauves têtes des pavés ; mais qui craindrait de glorifier en termes trop dithyrambiques l’art des femmes à ne pas crotter leurs chaussures ? Marthe se dirige sur le bout du pied, dans un balancement de ballerine qui s’étudie à faire des pointes. Victoire ! Les petits souliers