Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Voyons, maman ! Voyons, maman !…

Peine perdue ; elle allait toujours ; et les passants se retournaient, amusés, et surpris un peu, d’entendre ce carabinier appeler « maman » d’un air d’écolier pris en faute un petit bout de femme qu’il eût pu prendre entre deux doigts et mettre tranquillement dans sa poche. Enfin, pourtant, elle se calma et consentit à se laisser embrasser. Puis :

— Que tiens-tu là ? demanda-t-elle.

— Ce sont des livres, répondis-je, avec une agréable audace ; oui une véritable occasion : l’Histoire des peintres primitifs, en trois volumes, que je viens d’acheter chez un bouquiniste.

— Des livres ! dit maman, très flattée ; est-ce que tu deviendrais raisonnable ?

Moi, là-dessus, je voulus faire l’intéressant et je commençai de me dandiner, disant qu’on s’était fort mépris sur le fond de mon caractère, que j’étais le monsieur le plus sérieux du monde avec mes airs de me ficher de tout, que le travail avait toutes mes veilles, et cætera, et cætera. Et juste comme j’en étais là, voici tout à coup – ô stupeur ! – que l’Histoire des peintres primitifs sonna trois heures sous mon bras !

Maman me regarda ; je regardai maman ; nous nous regardâmes, maman et moi. Oh ! dame, je crus à une calotte ; pour ce qui est d’y croire, j’y crus, car je lui savais la main leste. Mais sans doute mon air idiot la désarma.

— Menteur ! dit-elle sans colère.

Et avec un haussement d’épaules :

— S’il est permis, avec une barbe pareille, d’avoir aussi peu de raison. – C’est ma pendule qui est là dedans ?

— Oui, maman.

— Tu l’allais mettre au mont-de-piété, je parie ?