Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/25

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ô surprise ! un melon aux vastes bords, que sans doute la main de son propriétaire avait impatiemment lancé à la volée, flottait comme un navire à l’ancre en les eaux savonneuses et épaisses d’une cuvette !… Sur la tablette, fendue en deux, d’une cheminée qui était un cellier et dont la trappe démantibulée ouvrait un jour en angle aigu sur l’âtre hérissé de bouteilles vides, cette cuvette occupait la place de la pendule, laquelle, juchée sur la corniche d’un colossal bahut de chêne, projetait un rouleau de musique hors du trou béant de son cadran, parti lui-même avec Jean, « voir s’ils viennent ». Des milliers de bouts d’allumettes saupoudraient de grésil le plancher, des mégots de cigarettes crachés au hasard de la lèvre lépraient bizarrement les murs d’une invasion d’énormes cloportes immobiles, et Stéphen Hour, à demi émergé du pêle-mêle de ses couvertures entre un pot de nuit à sa droite et un monticule de tabac à sa gauche, était une horreur de plus, parmi tant d’autres.

Il y avait mieux cependant.

La vraie surprise de ce claquedent, ce qui, d’une chose simplement extraordinaire, faisait une chose fantastique, c’était l’attendrissant piano qui servait au compositeur à y parfaire ses chefs-d’œuvre.

Non, ce meuble !…

Ah ! les choses, vraiment ont des mélancolies à elles ; des tristesses qui leur sont propres !

Avec son clavier comparable à la mâchoire safranée d’une quakeresse octogénaire, le piano de Stéphen Hour eût évoqué la vision du capitaine Castagnette, si, plutôt, il n’eût fait songer à un pauvre âne écorché vif, par son ventre, son triste ventre défoncé en cerceau de cirque sur ses entrailles de laiton. De