Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/26

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ses colonnettes de soutien, frêles spirales où s’accrochait le jour, l’une se calait, amputée à mi-jambe, au cul d’un seau renversé, et les deux accroches de cuivre, d’où les appliques avaient fui, qui flanquaient les zigzags baroques du pupitre, pointaient sur son avant, tels, sur une plate poitrine, les petits, tout petits tétons, d’une grande bringue de pensionnaire. Installé au sein de ce fumier, de biais et énigmatiquement à contre-jour, il s’y dressait avec l’hésitation inquiète d’un homme saoul échoué quelque part sans s’être au juste rendu compte par la faveur de quel miracle.

Or, chose inouïe ! à cette épinette apocalyptique et de laquelle se battaient les cordes avec des coquilles de noix, des carcasses de boîtes d’allumettes et des fragments de papiers encore gras des reliefs de charcuterie qu’ils avaient enveloppés naguère, Stéphen Hour arrachait des sons !… Quels sons !… N’importe, des sons ; des mélancolies atténuées, lointaines, lointaines, lointaines, qui avaient la plaintive douceur des souvenirs d’enfance effacés à demi, et cela était à la fois profondément triste et grotesque, parce qu’à la musique douloureuse sanglotée aux flancs de l’instrument une autre musique se mêlait : la danse tremblotée de l’anse sur les parois sonores du seau.


— Oui… un peu en désordre ici, dit négligemment Stéphen Hour qui avait suivi de son regard le regard ahuri de Cozal et qui ajouta ce mot superbe : – Je fais mon ménage moi- même. Excusez, hein !… Q’ça fait, d’ailleurs ?… Alors, vous avez à me parler ?

Cozal, nous le répétons, portait en soi de vieux restes d’enfance qui lui remontaient parfois aux lèvres en fous rires de petit collégien.