Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/48

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au sacrifice de sa vertu sans l’avoir défendue chèrement pendant au moins cinq minutes. C’était d’abord l’étonnement, l’œil effaré d’une niaise qui ne sait pas ce qu’on lui veut ; venait ensuite l’indignation, mère des exclamations bruyantes et des menaces coutumières aux petites blanchisseuses de « le dire à Madame en rentrant ». Le tout s’achevait au bord du lit, bien entendu, mais non point sans qu’elle appréciât, la tête régulièrement secouée du même hochement mélancolique :

— Eh ben vrai, alors ; c’est du propre !

Nous devons d’ailleurs déclarer, pour l’excuse de cette pécheresse, qu’on l’eût menée à l’assassinat sans l’ombre d’une hésitation, rien qu’en la menaçant à demi-mots d’une chatouille sous la plante des pieds. Le respect de cette partie de son être, extraordinairement délicate, il faut croire, avait fini par devenir chez elle une manière de hantise : au point qu’il suffisait à Robert Cozal, lorsqu’elle avait jugé à propos de faire sa poire et de rechigner sur la bagatelle, de prononcer gravement : « La plante !… » en élevant vers le ciel l’index du justicier, pour qu’elle jetât les cris aigus d’un marmot braillard et poltron devant lequel on a évoqué l’ombre farouche de Croquemitaine. Il le savait et ne laissait pas que d’exploiter cette infirmité morale, avec quelque indiscrétion.

Aussi n’eût-il garde d’y faillir, ce fatal trente et un août, cet exécré trente et un août qui l’atteignait si cruellement au plus sensible de ses affections. Feignant avoir vu l’apprentie lui faire sournoisement « j’t’en ratisse » :

— Ah ! tu m’en ratisses ? cria-t-il. Ah ! tu manques à la déférence ?… La plante ! ! ! la plante ! ! ! la plante ! ! !

L’autre, en entendant parler de plante, lâcha son panier et se trotta, affolée à l’idée de ces doigts qui menaçaient de