Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/55

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C’était précisément l’histoire des idées de Frédéric Hamiet. Elles aussi avaient les yeux doux, elles aussi avaient de roses lèvres, et des cheveux abondants, et des hanches en amphores, et des sourires faits pour ravir, et des regards faits pour troubler. Oh ! ce n’est point à mettre en doute : elles avaient toutes les perfections ; – à cela près, naturellement, de cette jambe, de cette sacrée jambe, soudain révélée à l’horreur de l’épouseur désenchanté, au moment qu’elles levaient la chemise.

Car elles en trouvaient toujours, des épouseurs ; on avait beau être prévenu, tout le temps on se laissait pincer à l’inédit de leur séduction, à l’étrangeté mystérieuse et inattendue de leur charme. Puis, Hamiet apportait tant d’art dans la façon de les présenter !… Non, certes, l’ignoble art du camelot expert à ameuter la foule en charbonnant sur le trottoir trois petits poissons enlacés, mais cet art de la persuasion, fruit des convictions généreuses et des emballements aveugles, dont ont le secret les personnes qui ont trouvé le mouvement perpétuel et les portières qui font l’éloge de leur fille élève au Conservatoire. Sa science vraiment incomparable à étaler ses projets n’était pas sans quelque ressemblance avec celle de ces habiles étalagistes dont éclate le bon goût, en couleurs voyantes, aux glaces de grands magasins. Très fort dans la démonstration de besoins qui n’existaient pas, qu’avait seule créés de toutes pièces son imagination perpétuellement en couches, et dont il parvenait cependant à faire hurler l’évidence, il se montrait plein de génie dans la théorie des remèdes à apporter, établissant par A + B, non seulement le « pourquoi » de leur efficacité non douteuse, mais encore le « parce que » de leur opportunité urgente. Il