Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/82

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Et tout à coup, à propos de rien, tout changea. Sa faute lui apparut en crime, au point qu’il resta bouleversé, immobilisé sur l’asphalte, à se demander de quel limon le diable avait pétri son cœur.

Le repentir entré dans son âme s’y conduisit comme un cochon : cassant tout, criant à tue-tête, et faisant les quatre cents coups ; et, dans l’exclamation de stupeur que lui arracha le révélé de ses aveuglements anciens, tint tout entier, en ses douze pieds, le cri de Pauline convertie :

Je sens, je vois, je crois, je suis désabusée.

Il passa une journée atroce, à errer par les rues au hasard de ses pas ; la brune, le soir, puis la nuit, tombèrent sans qu’il s’en aperçût, et seulement à minuit et demie, le hasard de la marche l’ayant amené à passer devant l’horloge éclairée du Sénat, il se souvint qu’il n’avait pas dîné.

Un café se trouvait là.

Il en poussa la porte, échoua au hasard d’une banquette, demanda un sandwich, un bock et de quoi écrire, puis, étalé sur son papier :

« Marthe ! est-ce que tout cela n’est pas qu’un abominable cauchemar ? Est-ce bien ainsi que j’ai su reconnaître tant d’amour et tant de tendresse, et puis-je croire qu’un jour viendra où se cicatrisera la blessure ouverte au plus sensible de ton cœur ?…

Oiseau blessé ! fleur meurtrie ! pauvre et chère idole profanée ! Sera-ce assez de toute une vie exclusivement consacrée à pleurer une minute d’erreur ?…

Une fureur poussait sa main ; sur la feuille les mots tombaient comme des grêlons, dans la fièvre de cet insensé à faire rendre gorge à ses torts. On voit ainsi de ces fanatiques,