Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/88

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ts. Il y eut une minute de silence, pendant laquelle allèrent l’un à l’autre et se confondirent en un seul les cœurs de ces deux putains.

— Tenez, venez vous asseoir là ! cria Cozal. Je vais vous lire ce que je lui écris.

D’un bout de buvard où s’abattait son poing fermé, il avait épongé les feuilles éparses autour de ses coudes. Il en prit une, l’éleva jusqu’à ses yeux, commença à déclamer : « Marthe ! est-ce que tout cela n’est pas qu’un abominable cauchemar ?… »

De même vibre l’âme des gamins au vide ronflant des tambours, de même vibre l’âme des femmes au vide des paroles qui ne signifient rien. Le genou haut calé à la table, les yeux clignés derrière le nuage bleuâtre de la cigarette qu’elle suçait, Victoria buvait en silence le flot de pompeux lieux communs qui coulait des lèvres de Cozal. Et de la tête elle approuvait : grue gavée, enfin contentée en ses appétits de phrases creuses, de sentiments noblement exprimés, de puretés à six liards la botte. Par moments, aux beaux endroits, elle n’avait plus d’yeux du tout ; ses paupières hermétiquement closes tiraient le rideau sur l’extatique jouissance d’un connaisseur qui goûte un solo de violoncelle.

À la phrase : « Est-ce bien ainsi que j’ai su reconnaître tant d’amour ?… »

— Très bien ! fit-elle à mi-voix.

À la période : « Oiseau blessé, fleur meurtrie !… » elle déclara :

— Très poétique !

Lui, cependant, allait de l’avant, s’ébattait comme un jeune poulain, parmi l’éloquence déchirante de son dése