Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/98

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fantoches indispensables l’un à l’autre bien qu’ennemis irréconciliables, et qu’unissait d’un lien d’étroite parenté leur commune vocation d’hommes venus au monde pour l’étonner du spectacle de leur égale insanité.

Marthe, cependant, ne se hâtait point de paraître.

— Est-ce que nous n’aurons point le plaisir de voir Madame ? se risqua à demander Cozal que commençait à gagner l’inquiétude.

— Non, répondit Hamiet ; elle n’est pas à Paris.

— Vous êtes veuf ?

— Depuis une semaine, et pour quelque temps encore.

— Madame est souffrante ?

— Oh ! un rien ; une crise de neurasthénie. Ça lui est tombé dessus sans qu’on sache pourquoi, à propos de rien, tout à coup. Je l’ai envoyée à Cherbourg, passer quelques jours chez sa sœur. L’air de la mer lui fera du bien.

Ainsi parla Hamiet, et, comme dans la chanson, qui est-ce qui fit un nez ? Ce fut Robert Cozal. C’était un mâle, avec ses airs de demoiselle de magasin ; il n’ignorait rien de son métier, savait l’action d’une énergique pression de doigts sur les révoltes d’une petit main enfin capturée sous la nappe, d’un baiser jeté à fleur de cheveux avec un : « Pardonne ou je me tue ! » articulé à fleur de lèvres pendant que le mari, penché, cherche sa serviette sous sa chaise. Oui, il excellait comme pas un dans le bel art de poser les pièges à amoureuses ! La défection imprévue de Marthe, en réduisant à néant tout un petit plan de campagne laborieusement combiné, calculé comme une épure et dont il s’était cru en droit d’escompter à l’avance les victorieux effets, lui mit de l’amertume plein l’âme. Il songeait que ces sacrées femmes ne rêvaient qu’à