Page:Courteline - Les Linottes, 1899.djvu/97

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pensée du siècle !… J’achète tous les chemins de fer du globe ; je supprime les roues des wagons ; je les remplace par la vitesse acquise et je les revends au marché aux puces à raison de trois sous la livre. Bénéfice : quatre-vingts millions que je mets dans ma poche du jour au lendemain !

Et encore :

— Ciel ! quelle idée !… Je monopolise à mon profit tous les alcools belges et hollandais ! Je les fais passer à la douane dans des pommes de terre en fer-blanc, et ni vu ni connu, je t’embrouille ! Encore cent millions pour moi !

C’est ainsi que, tant bien que mal, se payant sur la peau de la bête, il rentrait dans ses débours. Mais en l’outré de la parodie où grimaçait le reflet de son génie déformé, Hamiet se mirait, le sourire aux lèvres, comme dans une boule de jardin. Et quand Gütlight, d’un inattendu : « Ah ! mon cher ! » lancé au nez de Cozal abasourdi, eut parfait la caricature, l’eut circonscrite en un dernier trait d’une étonnante ressemblance, il n’y tint plus ; il cria que ce circoncis avait certainement juré de le faire mourir de joie, la voix secouée d’un si formidable accès de rire que Cozal et Gütlight lui-même en subirent l’élan contagieux. De cet instant la question fut tranchée ; la dispute, qui tourna comme une mayonnaise, échoua dans un touchant échange d’aménités, Hamiet demandant : « À la fin, oui ou non, dînez-vous ici, vieille pratique ? », Gütlight répondant : « Oui, je dîne ! » en faisant sonner son chapeau au marbre de la cheminée. « Et nom de nom, je veux m’en fourrer jusque-là ! Quand même je devrais en crever, je rattraperai ma galette ! ». C’était le dénouement obligé, la conclusion prévue, fatale, où s’achevaient, depuis que le destin les avait jetés sur la même route, les querelles de ces deux