Page:Courteline - Les gaietés de l'escadron ; Le commissaire est bon enfant ; Monsieur Badin ; Théodore cherche des allumettes, 1913.djvu/87

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Monsieur Badin ― Je suis confus…

Le directeur ― Du tout, du tout. Dites-moi, monsieur Badin, voilà près de quinze jours que vous n’avez pas mis le pied à l’Administration.

Monsieur Badin ― Ne m’en parlez pas !…

Le directeur ― Permettez ! C’est justement pour vous en parler, que je vous ai fait prier de passer à mon cabinet. Voilà, dis-je, près de quinze jours que vous n’avez pas mis le pied à l’Administration. Tenu au courant de votre absence par votre chef de bureau, et inquiet pour votre santé, j’ai envoyé six fois le médecin du ministère prendre chez vous de vos nouvelles. On lui a répondu six fois que vous étiez à la brasserie.

Monsieur Badin ― Monsieur, on lui a menti. Mon concierge est un imposteur que je ferai mettre à la porte par le propriétaire.

Le directeur ― Fort bien, monsieur Badin, fort bien : ne vous excitez pas ainsi.

Monsieur Badin ― Monsieur, je vais vous expliquer. J’ai été retenu chez moi par des affaires de famille. J’ai perdu mon beau-frère…

Le directeur ― Encore !

Monsieur Badin ― Monsieur…

Le directeur ― Ah çà ! monsieur Badin, est-ce que vous vous fichez de moi ?

Monsieur Badin ― Oh !…

Le directeur ― À cette heure, vous avez perdu votre beau-frère, comme déjà, il y a trois semaines, vous aviez perdu votre tante, comme vous aviez perdu votre oncle le mois dernier, votre père à la Trinité, votre mère à Pâques ! Sans préjudice, naturellement, de tous les cousins, cousines, et autres parents éloignés que vous n’avez cessé de mettre en terre à raison d’au moins un la semaine. Quel massacre ! non, mais quel massacre ! A-t-on idée d’une boucherie pareille !… Et je ne parle ici, notez bien, ni de la petite sœur qui se marie deux fois l’an, ni de la grande qui accouche tous les trois mois. Eh bien ! monsieur, en voilà assez. Que vous vous moquiez du monde, soit ! mais il y a des limites à tout, et si vous supposez que l’Administration vous donne deux mille quatre cents francs pour que vous passiez votre vie à marier les uns, à enterrer les autres, ou à tenir sur les fonts baptismaux, vous vous mettez le doigt dans l’œil !

Monsieur Badin ― Monsieur le directeur…