Page:Courteline - Les gaietés de l'escadron ; Le commissaire est bon enfant ; Monsieur Badin ; Théodore cherche des allumettes, 1913.djvu/88

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Le directeur ― Taisez-vous ! Vous parlerez quand j’aurai fini ! Vous êtes ici trois employés attachés à l’expédition : vous, M Soupe et M Fairbatu. M Soupe en est aujourd’hui à sa trente-septième année de service et il n’y a plus rien à attendre de lui que les preuves de sa vaine bonne volonté. Quant à M Fairbatu, c’est bien simple : il place des huiles en province !… Alors quoi ? Car voilà pourtant où nous en sommes, il est inouï de penser que sur trois expéditionnaires, l’un soit gâteux, le second voyageur de commerce et le troisième à l’enterrement depuis le jour de l’An jusqu’à la Saint Sylvestre !… Et naïvement vous vous êtes fait à l’idée que les choses pouvaient continuer de ce train ?… Non, monsieur Badin ; cent fois, non ! J’en suis las, moi, des enterrements, et des mariages, et des baptêmes !… Désormais, c’est de deux choses l’une : la présence ou la démission ! Choisissez ! Si c’est la démission, je l’accepte. Je l’accepte à cet instant même. Est-ce clair ? Si c’est le contraire, vous me ferez le plaisir d’être ici chaque jour sur le coup de dix heures, et ceci à partir de demain. Est-ce clair ? J’ajoute que le jour où la fatalité, cette fatalité odieuse qui vous poursuit, semble se faire un jeu de vous persécuter, viendra vous frapper de nouveau dans vos affections de famille, je vous balancerai, moi ! Est-ce clair ?

Monsieur Badin ― Ah ! vous me faites bien de la peine, monsieur le directeur ! À la façon dont vous me parlez, je vois bien que vous n’êtes pas content.

Le directeur ― Allons donc ! Mais vous vous trompez ; je suis fort satisfait au contraire !

Monsieur Badin ― Vous raillez.

Le directeur ― Moi !… monsieur Badin ?… que j’eusse une âme si traîtresse !… qu’un si lâche dessein…

Monsieur Badin ― Si, monsieur ; vous raillez. Vous, êtes comme tous ces imbéciles qui trouvent plaisant de me taper sur le ventre et de m’appeler employé pour rire. Pour rire !… Dieu, vous garde, monsieur, de vivre jamais un quart d’heure de ma vie d’employé pour rire !

Le directeur ― Pourquoi cela ?

Monsieur Badin ― Écoutez, monsieur. Avez-vous jamais réfléchi au sort du