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Page:Courteline - Un client sérieux, 1912.djvu/123

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La scène se passe à la Poste.


La Brige, le nez à un guichet. — Monsieur, un de mes amis qui me devait cent francs vient de me renvoyer cette somme. Il me l’a expédiée par lettre chargée, à mon nom bien entendu, mais adressée au ministère de l’Intérieur où je suis comme principal. Le facteur chargé de me la remettre s’est présenté à mon bureau avant que j’y fusse arrivé…

L’employé. — …et il l’a remportée, comme c’était son devoir.

La Brige. — Vous l’avez dit. Elle a donc fait retour à la poste.

L’employé. — …et, à cette heure, c’est moi qui l’ai.

La Brige. — Ah ! Voulez-vous me la donner, s’il vous plaît ? Je suis monsieur…

L’employé. — …monsieur La Brige.

La Brige, un peu étonné. — Il est vrai. Mais comment…

L’employé. — Vous ne me remettez pas ?

La Brige. — Mon Dieu…

L’employé. — J’ai eu l’avantage, autrefois, de me trouver souvent avec vous aux vendredis des Crottemouillaud.

La Brige. — Chez les Crottemouillaud ?

L’employé. — Oui.

La Brige, le fixant. — Eh mais… (Frappé d’une idée.) Est-ce que je ne vous dois pas cent sous ?

L’employé, souriant. — C’est possible.

La Brige. — C’est même certain ! Je me souviens parfaitement. C’était un soir qu’il pleuvait ; j’étais sorti sans argent ; je vous ai emprunté cinq francs pour prendre un fiacre. Excusez-moi d’être encore votre débiteur.

L’employé. — Mon Dieu ; ce n’est rien.

La Brige. — Vous savez ce que c’est, n’est-ce pas ? On se rencontre ; on s’emprunte cent sous un jour qu’il pleut, après quoi on se perd de vue, les années passent…

L’employé. — Mais oui, mais oui.

La Brige. — Rappelez-moi donc votre nom… Ratbouilli, je crois ; Ratcrevé ?

L’employé. — Ratcuit.