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Une Lettre chargée

La Brige. — Que diable allez-vous chercher là ! Suis-je, oui ou non, M. La Brige ? De votre propre aveu, le suis-je ?

L’employé. — Vous êtes M. La Brige, c’est vrai.

La Brige. — Eh bien, alors ?

L’employé. — Eh bien, justifiez, preuves en main, que vous êtes bien cette personne, et je vous remettrai ce qui est à vous.

La Brige, les yeux au ciel. — La fooorme !… Enfin ! (Il tire son portefeuille.) Voici des enveloppes de lettres.

L’employé. — Ça ne suffit pas. Avez-vous votre carte d’électeur ?

La Brige. — Non, mais je peux vous montrer ma quittance de loyer et mon contrat d’assurance.

L’employé. — Je m’en contenterai.

La Brige. — C’est heureux. Voici ces deux pièces.

L’employé, qui les prend. — Merci.

Long silence. L’employé examine les papiers de tout près. De l’autre côté du grillage auquel il repose son front, La Brige attend une décision en grinçant des maxillaires. À la fin :

L’employé. — Je reconnais l’authenticité de ces documents. Seulement, ils ne prouvent rien.

La Brige. — Pourquoi ?

L’employé. — Parce qu’ils concernent un nommé Jean-Philippe La Brige, domicilié 41 bis, rue de Douai, alors que la lettre chargée, objet de votre démarche, intéresse un nommé La Brige, prénommé aussi Jean-Philippe, mais domicilié place Beauveau, au ministère de l’Intérieur.

La Brige. — Si bien que voilà le ministre obligé de me louer un bureau ou de m’assurer contre le feu, faute de quoi ce sera comme des pommes pour rentrer dans mes cent francs.

L’employé. — Rassurez-vous. La lettre vous sera représentée.

La Brige. — Quand ?

L’employé. — Demain matin, à huit heures.

La Brige. — Bon ! les bureaux n’ouvrent qu’à dix.

L’employé. — Puis à midi.

La Brige. — De mieux en mieux. C’est le moment où je pars déjeuner.

L’employé. — Puis à six heures.