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mémoires de m. d’artagnan

fiait la sentence que j’en appelais ; le drôle ne fit qu’en rire. Or celle canaille de juges avait mis les frais à mon compte, si bien qu’on vendit mon cheval et mon linge, du moins je le suppose, car je ne revis jamais ni l’un ni l’autre, non plus que les quelques écus qui demeuraient du viatique paternel et dont on m’avait soulagé, lors de ma mise au cachot.

Au bout de quelques jours, le curé du pays me fit visite et chercha à me réconforter. Il m’apprit qu’un gentilhomme du voisinage aurait dirigé tout autrement l’information des juges, si par malheur pour moi, il n’avait été absent au moment de l’événement. Ce gentilhomme était l’ennemi de celui qui m’avait battu (et qui se nommait Rosnay). Ils avaient eu des différends, dans lesquels il avait quelque peu maltraité ce Rosnay ; aussi défense lui avait été faite de par les maréchaux de France, de recommencer de nouveaux débats. Ce gentilhomme ne pouvait donc me venir voir en personne, mais il m’offrait tout le secours dont il était capable, en m’envoyant quelques chemises et quelque argent.

Ce secours ne pouvait arriver plus à propos. J’étais réduit à une seule chemise, qui ne tarderait guère à me pourrir sur le dos, et mon argent, du moins le peu que je possédais, était aux grilles de la justice. Mais j’avais bonne provision de ce qui ne manque jamais aux Béarnais, c’est-à-dire, beaucoup de gloire. Je crus que c’était me faire injure que m’offrir ainsi la charité, et je refusai net, en disant qu’un gentilhomme comme moi ne saurait rien accepter que de son roi.

Le curé, qui s’attendait à rencontrer pareille fierté, et à qui l’on avait fait la bouche sur le cas, me répondit que ce don pouvait être considéré comme un prêt, et que je n’avais qu’à écrire mon billet de la somme,