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mémoires de m. d’artagnan

qui, chemises et argent, montait à quarante-cinq francs. Cette libéralité pensa prolonger mon emprisonnement, car la justice s’imagina qu’on financerait pour me tirer de ses pattes. Je demeurai en cachot deux mois et demi, jusqu’à ce que le bon curé ayant répété partout que la somme reçue par moi, était donnée une fois pour toutes, et qu’on ne gagnerait rien à me garder plus longtemps, on me lâcha enfin.

Je me rendis chez le curé pour le remercier d’abord, et pour le prier de me mener chez l’homme qui m’avait obligé et qui se nommait Montigré. Le curé me dit que cette visite était impossible, car le pays en serait aussitôt averti, et que cela exciterait de mauvais propos, mais il m’assura que le gentilhomme viendrait me rejoindre le lendemain, incognito, à Orléans, et qu’il me verrait à l’auberge de l’Écu-de-France.

Pour mon ennemi, il m’avertit qu’il était inutile que je courusse à sa recherche, car ce Rosnay, prévenu à l’avance de ma sortie de prison, s’était hâté de mettre cinquante lieues entre nous deux, en se sauvant à cheval dans une de ses terres. Je trouvai cette prudence digne de lui, et ne soufflai mot au curé de mes projets : ceux qui menacent le plus, ne sont pas toujours les plus dangereux.

Je partis avant le jour pour gagner Orléans, et fus loger à l’Écu-de-France. M. de Montigré, s’y étant rendu le même jour, se fit connaître à moi. Je le remerciai en des termes les plus reconnaissants qu’il me fut possible, et le mis sur le chapitre de Rosnay. Voyant que j’éprouvais grande démangeaison de le joindre, il me dit que j’en serais empêché si je ne m’y prenais finement, car ce Rosnay était homme à m’appeler tout aussitôt devant les maréchaux de France, s’il se voyait menacé, et que cela romprait toutes les mesures que