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mémoires de m. d’artagnan

se sentirait pas un sol en poche, d’avoir toujours le plumet sur l’oreille et le ruban de couleur à la cravate.

Le mousquetaire à qui je m’adressai se nommait Porthos. Il avait deux frères dans la compagnie dont l’un s’appelait Athos et l’autre Aramis. M. de Tréville les avait tirés tous trois du Béarn, où ils s’étaient acquis beaucoup de réputation dans des rencontres courageusement soutenues. Il choisissait volontiers ses gens à cause de la grande jalousie qui existait entre les mousquetaires et les gardes du cardinal de Richelieu. Il ne se passait de jour sans que les uns et les autres n’en vinssent aux mains.

Cela n’était rien, mais les maîtres épousaient ces querelles, et disputaient tous deux sur le mérite et la valeur de leurs gens. Le roi tenait bon pour les siens et le cardinal faisait rechercher dans les provinces les braves qui se rendaient redoutables par leurs combats particuliers et les plaçait dans ses gardes. Aussi, en ces temps d’édits rigoureux contre les duels, alors qu’on avait puni de mort, pour ce fait, nombre de personnes de la première qualité, le roi et le cardinal accordaient asile, faveur et bonnes grâces à ceux qui se battaient le plus souvent et le plus fort pour leur cause.

J’appris à Porthos qui j’étais ; je lui rappelai que la maison de mon père était toute voisine de celle de ses parents, qu’il avait entendu parler de ma famille et qu’il devait savoir qu’on n’y comptait que de braves gens.

— C’est bien ! me répondit-il ; vous n’avez donc qu’à leur ressembler de point en point, sinon vous feriez bien de vous en retourner d’où vous venez.

Les conseils de mon père me revinrent à l’esprit en