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Page:Courtilz de Sandras - Mémoire de Mr d’Artagnan, tome premier, 1700.djvu/19

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Je lui demandai s’il m’êtoit permis d’aller voir mon créancier, pour lui témoigner ma reconnoiſſance, que j’étois bien aiſe de l’aſſurer que je ne ferois pas plutôt en état de m’acquitter de ce que je lui devois, que je le ferois fidellement. Il me répondit, qu’il avoit ordre de lui de me prier de n’en rien faire, de peur que ma viſite ne ſe prit en mauvaiſe part par ſon ennemi, & le mien ; que cependant comme il avoit envie de me voir il ſe rendroit le lendemain à Orléans incognitò ; que je m’en fuſſe loger à l’écu de France, que je l’y trouverois, ou du moins qu’il s’y rendroit tout auſſi-tôt que moi ; qu’il me prêteroit ſon cheval pour y aller à mon aiſe, & ſçachant bien qu’il ne me pouvoit plus guéres reſter d’argent de celui qu’il m’avoit donné, ce Gentilhomme m’en prêteroit encore pour achever mon voiage. J’en avois aſſez de beſoin, comme il diſoit, ainſi n’étant pas fâché de trouver ce ſecours, je partis le lendemain pour Orléans, bien réſolu de revenir tout le plutôt que je pourrois en ce païs-là, pour m’acquitter de l’argent que j’y avois emprunté, & pour me venger de l’affront que j’y avois reçu. Je n’en ſerois pas même parti ſans ſatisfaire à mon juſte reſſentiment, ſi ce n’eſt que le Curé m’apprit que le Gentilhomme à qui j’avois eu affaire, ſçachant que l’on me devoit faire ſortit de priſon, étoit monté à cheval pour s’en aller dans une terre qu’il avoit à cinquante ou ſoixante lieuës de-là. Je trouvai ce procédé digne de lui, & ne diſant pas au Curé ce que j’en penſois, parce que je ſçavois bien que ceux qui menaçoient davantage n’étoient pas toûjours les plus dangereux, je partis le lendemain avant le jour pour m’en aller à Orléans.

Je fus loger à l’écu de France comme le Curé me l’avoit dit, & le Gentilhomme qui m’avoir obligé de ſi bonne grâce, & qui s’appelloit Montigré, s’y étant rendu dès le même jour, il ſe fit connoître à moi, comme le Curé m’avoit dit qu’il devoit faire, d’abord qu’il ſeroit arrivé. Je le remerciai en des