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Page:Courtilz de Sandras - Mémoire de Mr d’Artagnan, tome premier, 1700.djvu/20

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termes les plus reconnoiſſans qu’il me fut poſſible, & m’ayant répondu que c’étoit ſi peu de choſe, que cela ne valloit pas ſeulement la peine d’en parler, je le mis ſur le chapitre de Roſnai. Il me dit, voyant que j’avois grande demangeaiſon de le joindre, que j’y ſerois bien empêché, que je m’y devois prendre finement, ſi j’y voulois réüſſir, parce qu’il étoit homme à me faire ce qu’il lui avoit fait, c’eſt-à-dire à en uſer ſi mal que je n’en ſerois jamais content : que s’il venoit par haſard à s’apercevoir que je lui en vouluſſe, il me feroit venir tout auſſi-tôt devant les Maréchaux de France ; que cela romproit toutes les meſures que je pouvois prendre, deſorte qu’il étoit beſoin que j’uſaſſe d’une grande diſſimulation, ſi je voulois l’attraper.

Ce Gentilhomme voulut à toute force que je priſſe le caroſſe pour m’en aller. Il me prêta encore dix piſtoles d’Eſpagne, quoi que je fiſſe difficulté de les prendre, tellement que je me trouvai engagé avec lui, de près de deux cent francs devant que d’arriver à Paris. C’étoit preſque, pour en dire le vrai, tout ce que je pouvois eſperer de ma legitime, parce que, comme j’ai déjà dit, mes richeſſes n’étoient pas bien grandes ; mais me réſervart l’eſperance en partage, j’achevai mon chemin, après être convenu avec Montigré, qu’il me donneroit de ſes nouvelles, & que je lui donnerois des miennes.

Je ne fus pas plutôt arrivé à Paris, que je fus trouver Mr. de Treville qui logeoit tout auprès du Luxembourg. J’avois apporté, en m’en venant de chez mon Pere, une lettre de recommandation pour lui, Mais par malheur on me l’avoit priſe a St. Dié, & le vol qu’on m’en avoit fait avoit encore augmenté ma colere contre Roſnai. Pour lui il n’en étoit devenu que plus timide, parce que cette lettre lui apprenoit que j’étois Gentilhomme, & que je devois trouver de la protection auprès de Mr. de Treville. Enfin toute ma reſſource étoit de lui dire l’accident qui m’étoit arrivé, quoi que j’euſſe