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LA FORÊT DU HAUT-NIGER


3 mars 1922.

Venant du Soudan, de Bougouni, je n’ai passé que deux jours à Kankan. Je me dirige vers le Sud, vers la montagne et la grande forêt tropicale qui s’y amorce. Est-elle l’abri que je souhaite contre la chaleur ? Le repaire de fièvres que certains me dénoncent ? Je fuis avec plaisir, en tous cas, cette région-ci où règne la saison sèche dans sa plénitude. Hier, recluse, je me suis ennuyée, malgré d’aimables visites d’indigènes. En décembre dernier, j’avais observé à Kankan 18° la nuit, 30° à midi ; je sortais à toutes les heures de la journée avec les noirs ; mais hier, il y avait 36° sous ma vérandah ; je n’osais pas affronter le soleil de la cour ; je me promenais au bord de l’ombre de ma case comme, pendant la traversée, le long des bastingages du paquebot, avec la même impression cruelle d’être assiégée par une hostilité infinie. Hostilité là-bas, de l’eau ; ici, du feu. Une autre hostilité, celle des moustiques, m’a empêché d’apprécier la fraîcheur du soir.

J’ai dîné cette veille de départ, chez le receveur des postes et sa femme. Ils m’ont parlé de Van Dongen et de Matisse. Ils sont Parisiens et fous de peinture ; c’est très imprévu ici. Je leur ai montré des croquis ; j’ai parlé des résultats de ma mission officielle ; je leur ai nommé les étapes prochaines de mon voyage en pays de montagne : Beyla, N’Zérécoré, Macenta, Gueckédou, Kissidougou. Je leur explique que j’atteindrai Beyla, par Kérouané, l’ancienne forteresse du belliqueux Samory. Mais leur ami Z***, un colonial expérimenté, m’a arrêtée net :

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