Page:Couturat - Le principes des mathématiques, La Philosophie des mathématiques de Kant (1905) reprint 1980.djvu/277

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proposition psychologique, et qui, même au point de vue psychologique, est plus que contestable, au moins pour les petits nombres : n’a-t-on pas l’intuition absolument simultanée de 2, 3, 4, 5 points, surtout quand ils sont régulièrement disposés ? Comment pourrait-on lire la lettre Δ, par exemple, si l’on n’avait pas la perception simultanée de ses 3 côtés et de ses 3 sommets ? Comment les aveugles eux-mêmes pourraient-ils distinguer au toucher les lettres de l’alphabet Braille, s’ils ne percevaient simultanément les points (au nombre de 6 au plus) qui composent chacune d’elles ? Quoi qu’il en soit, du reste, ces considérations psychologiques n’ont aucune valeur dans la question épistémologique qui nous occupe. Il ne s’agit pas de savoir comment nous prenons conscience d’un nombre, mais en quoi consiste la notion d’un nombre. Or dans cette notion il ne reste rien des opérations psychologiques, simultanées ou successives, par lesquelles nous l’avons formée, et pour cette bonne raison, qu’il faut que nous ayons conscience simultanément de toutes les unités pour pouvoir dire que nous pensons un nombre et quel nombre nous pensons. Au fond, quiconque fait intervenir le temps dans la notion de nombre confond celle-ci (à la manière des empiristes) avec l’opération du dénombrement. Or il est facile de montrer que le dénombrement présuppose l’idée de nombre, loin de l’engendrer, et qu’en tout cas, l’idée de nombre fût-elle postérieure au dénombrement, il n’y reste pas plus de trace du temps employé à cette opération, qu’il ne reste, dans un édifice, de trace de l’échafaudage qui a servi à le construire.

Au surplus, qui prouve trop ne prouve rien ; or l’argument psychologique que nous discutons ne tend à rien de moins qu’à prouver que le temps fait partie intégrante de toutes nos idées et de toutes nos connaissances, puisqu’il est la forme générale, non seulement de la sensibilité, mais de toute la vie mentale, et que tous nos actes, même les plus intellectuels, se passent forcément dans le temps. Un monument, un tableau sont, bien [