Page:Couturat - Le principes des mathématiques, La Philosophie des mathématiques de Kant (1905) reprint 1980.djvu/308

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les différentes Géométries, c’est-à-dire à affirmer que tel système est vérifié par l’espace actuel ou par le monde réel : une telle affirmation est évidemment synthétique, au sens que nous avons défini, en ce qu’elle dépasse les bornes de la Logique formelle. A qui appartient-il de faire ce choix, ou qu’est-ce qui le détermine ? C’est la seule question qui puisse encore donner lieu à controverse. La plupart des mathématiciens pensent que c’est l’expérience qui nous apprend quels sont les postulats qui sont effectivement vérifiés dans notre monde ; les postulats seraient des lois inductives, des résumés d’innombrables expériences, et par suite la Géométrie serait une science inductive et expérimentale, la première, c’est-à-dire la plus abstraite et la plus simple des sciences physiques. Dans cette théorie, les jugements géométriques seraient simplement synthétiques a posteriori. Mais, pour d’autres, l’expérience serait impuissante, ou plutôt incompétente, à décider entre les diverses Géométries, attendu qu’une même expérience, un même ensemble de faits, pourrait se couler et s’interpréter dans les divers systèmes que nous offre la Géométrie pure. Notre choix ne serait donc pas imposé par l’expérience, mais guidé par des raisons de « commodité ». Or, comme il s’agit évidemment ici, non pas d’une commodité empirique ou pratique, mais d’une commodité intellectuelle, on peut présumer que ces raisons de « commodité », si on les précisait et analysait davantage, se réduiraient à des raisons… rationnelles, c’est-à-dire des jugements synthétiques a priori. Et ce qui semble confirmer cette présomption, c’est le caractère éminemment rationnel des deux propriétés essentielles de l’espace euclidien : 1° la possibilité de déplacer une figure invariable sans la déformer, qui constitue en somme le principe d’identité de la Géométrie (la même figure peut exister en des lieux différents) ; 2° la possibilité des figures semblables, qui constitue ce que Delbœuf appelait l’indépendance de la forme et de la grandeur (la même forme peut exister à des échelles différentes). Seulement ces jugements synthétiques a priori ne seraient pas fondés, comme le pensait Kant, sur une intuition sensible (fût-elle pure), [300]