Page:Couturat - Pour la Langue Internationale, 1906.pdf/9

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
7
la pluralité des langues

il conférerait à la nation favorisée un avantage énorme sur ses rivales dans les relations commerciales et même scientifiques. La langue d’un peuple est le véhicule de ses idées, de son influence, de ses produits et même de ses modes ; elle est aussi l’incarnation de son esprit, le symbole de son unité nationale, de son indépendance et de sa suprématie. Jamais les grandes nations ne consentiront à baisser pavillon devant l’une d’entre elles, à lui reconnaître une espèce d’hégémonie, et à devenir en quelque sorte ses tributaires.

Ajoutons qu’aucune langue nationale ne peut prétendre à une supériorité marquée sur toutes les autres ; aucune ne possède la simplicité, la régularité et la perfection idéales. Toutes présentent des difficultés diverses, mais à peu près équivalentes ; des complications inutiles, des exceptions sans nombre, des lacunes et des bizarreries. Lors même que les philologues de tous les pays mettraient de côté leur amour-propre national pour ne considérer que les qualités logiques des différentes langues, ils ne parviendraient pas à se mettre d’accord sur la meilleure de toutes. Puis donc que toute entente internationale est manifestement impossible sur ce point, il faut que, dans leur intérêt commun, tous les peuples renoncent à des espérances chimériques et à des prétentions injustifiables, et adoptent une langue neutre qui ne coûtera aucun sacrifice à leurs intérêts matériels et moraux, ni même à leur vanité.

La pluralité des langues.

Il y a une autre solution, qui n’est qu’un pis-aller, et que nous ne croirions pas nécessaire de réfuter, si elle n’avait fait l’objet d’un vœu de Congrès des Mathématiciens. Elle consisterait à réduire à cinq ou six le nombre de langues nationales employées dans la science (et sans doute aussi dans le commerce). Ce projet est absolument irréalisable. Quelle est en effet l’autorité qui aurait la qualité pour choisir les cinq ou six langues privilégiées, et surtout pour exclure toutes les autres ? Une telle décision serait éminemment arbitraire et partiale, et donnerait lieu à autant de conflits, pour le moins, que le choix d’une seule langue comme L. I. De plus, lors même que cette décision aurait été prise, qui donc aurait le pouvoir de la faire exécuter ? Les peuples dont on voudrait bannir la langue refuseraient à bon droit de sacrifier