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pour la langue internationale

mettre en garde contre l’idée chimérique d’une langue purement et exclusivement savante. D’abord, où finit la science ? où commencent le commerce et l’industrie ? Les instruments de physique, les produits chimiques, etc., auront-ils deux noms, l’un pour les savants, l’autre pour les profanes ? Si nous annexons à la langue savante tous les termes techniques, elle sera nécessairement la langue du commerce et des voyageurs de commerce. Mais alors elle devra être aussi celle des simples voyageurs, d’autant qu’ils ont forcément affaire aux commerçants. Les savants eux-mêmes ne sont pas de purs esprits, et, une fois sortis de leurs bibliothèques et de leurs laboratoires, ils ont les mêmes besoins pratiques que le commun des mortels. Une langue savante ne leur servira de rien ; il leur faudra donc apprendre en outre la L. I. des commis voyageurs. Le danger d’une L. I. savante serait la formation inévitable d’une L. I. commerciale et utilitaire, et comme celle-ci serait cent fois plus employée que l’autre, elle la détrônerait infailliblement. Au surplus, il est absurde de distinguer la langue savante de la langue vulgaire, et d’y voir deux langues différentes ; à part quelques termes spéciaux comme il y en a dans tous les métiers, le fond de la langue est le même pour un boutiquier et pour un académicien, et la preuve en est qu’ils se comprennent fort bien, quand l’académicien va faire ses emplettes chez le boutiquier. La L. I. ne doit donc pas être une langue technique et aristocratique, réservée à quelques initiés, mais une langue usuelle et quotidienne, qui puisse servir aussi bien dans les hôtels et dans les gares que dans les Sociétés savantes et les Congrès. En un mot, elle doit avoir les mêmes usages et le même domaine que chacune de nos langues nationales.

Exclusion des langues nationales.

La solution en apparence la plus simple, celle qui se présente la première à l’esprit, consiste à choisir comme L. I. une des langues actuellement vivantes. Mais c’est là en réalité une solution irréalisable, et c’est la seule que nous nous permettions d’exclure a priori. Il est impossible, en effet, que tous les peuples se mettent d’accord pour adopter la langue de l’un quelconque d’entre eux. Un tel choix se heurterait non seulement à l’amour-propre légitime des diverses nations, mais encore à leurs intérêts politiques et économiques, car