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LE SOPHA

idées fausses. D’ailleurs (car ce mal, tout grand qu’il est, n’est pas le seul), on est sans cesse tourmenté du désir d’apprendre ce que l’on s’obstine à ignorer. L’âme, exercée malgré elle-même par ce mouvement de curiosité, en a sûrement plus de négligence sur ses devoirs ; en proie à des distractions fréquentes, elle perd à raisonner, à entrevoir, à suivre, à détailler, à approfondir ce qu’elle a conçu, le temps que, sans cette tourmentante idée qui l’obsède toujours, elle donnerait uniquement à la pratique de la vertu. Si elle savait à quoi s’en tenir sur ce qu’elle souhaite de connaître, elle serait plus tranquille, elle serait plus parfaite : il faut donc connaître le vice, soit pour être moins troublé dans l’exercice de la vertu, soit pour être sûr de la sienne. »

« Quoique Almaïde fût dans une situation à ne pouvoir guère saisir que ce qui, en lui démontrant la nécessité du plaisir, la délivrait de la crainte des remords, ce sophisme la fit frissonner. Elle demeura quelques moments interdite ; mais l’envie qu’elle avait de s’éclairer sur la volupté, ou de s’y perdre encore, l’emportant sur la terreur, elle me parut enfin plus surprise qu’effrayée de ce qu’elle venait d’entendre.

— « Vous croyez donc, lui demanda-t-elle d’une voix tremblante, que nous en serions plus parfaits ?