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LE SOPHA

« Nassès ne répondit à cet éloge qu’en homme qui croyait qu’on le louerait moins sur le présent, si l’on ne prétendait point par là l’encourager sur l’avenir. Il avait attendri Zulica, il parvint à l’étonner ; aussi prit-elle pour lui une considération, même une sorte de respect, qui, vu le motif qui les lui faisait obtenir, devenaient extrêmement plaisants, et qui doivent flatter un homme, d’autant plus qu’elles ne sont pas chez les femmes l’effet de la prévention, comme le sentiment. Nassès, assez content de lui-même, crut qu’il pouvait suspendre pour un moment l’admiration qu’il causait à Zulica. Avoir triomphé d’elle n’était rien pour lui : il la connaissait trop pour en être flatté, et les bontés qu’elle lui marquait, loin de diminuer la haine qu’il lui portait, l’avalent augmentée. Il se sentait pour elle ce mépris profond qui nous rend impossibles la dissimulation et les ménagements avec les personnes qui nous l’inspirent ; et dans cette disposition, il ne croyait pas pouvoir lui montrer assez tôt toute l’impression que sa conduite avec lui avait faite sur son âme.

— « Vous trouvez donc, lui demanda-t-il, que je ne vous loue pas si bien que Mazulhim ?

— « Oui, répondit-elle, mais je trouve en même temps que vous savez aimer mieux que lui.

— « Voilà, répliqua-t-il, une distinction