Page:Crébillon (Fils) - Le Sopha.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
203
LE SOPHA

que je n’entends pas ; quelle valeur attachez-vous actuellement au mot d’aimer ?

— « Celle qu’il a, repartit-elle ; je ne lui en connais qu’une, et ce n’est que de celle-là que je prétends parler ; mais vous qui me paraissez aimer si bien, pourquoi me demandez-vous ce que c’est que l’amour ?

— « Si je le demande, répliqua-t-il, ce n’est pas que je l’ignore : mais, comme chacun définit ce sentiment suivant son caractère, je voulais savoir ce qu’en particulier vous entendez, vous, en disant que je vous aime mieux que Mazulhim ne vous aimait. Je ne puis connaître la différence que vous mettez entre lui et moi, si vous ne m’apprenez pas ce que c’était que sa façon d’aimer.

— « Mais, répondit-elle en affectant de rougir, c’est qu’il a le cœur épuisé, lui.

— « Le cœur épuisé ! reprit-il, voilà une expression qui, selon moi, n’offre point de sens déterminé. Le cœur s’épuise, sans doute, sur une passion trop longue ; mais Mazulhim ne pouvait pas se trouver avec vous dans ce cas-là, puisque pour ses yeux et son imagination vous étiez un objet nouveau. Par conséquent, ce que vous me dites de lui n’est pas ce que vous devriez m’en dire.

— « Je n’en dirai pourtant que cela, répondit-elle ; ce que j’en sais, c’est (du moins je m’en doute) qu’il y a peu d’hommes moins faits pour aimer que lui, et ne m’interrogez