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LE SOPHA

pas, et je ne connais point de situation, quelque terrible qu’elle fût, qui pût me déterminer à accorder à un homme ce que mon cœur voudrait toujours lui refuser.

— « Il faut être bien délicat, reprit-il, pour faire cette distinction et s’y arrêter ; en attendant que l’on puisse gagner le cœur, on cherche à engager une femme, de façon que ce qu’elle ait de mieux à faire soit de vous le donner, et assez souvent elle est trop heureuse de pouvoir finir par là.

— « Je commence à vous entendre, Monsieur, lui dit-elle, vous voulez me faire sentir que vous ne croyez me devoir qu’à la situation où vous m’avez trouvée ici, et vous aimez mieux imaginer que vous n’aviez pas de quoi me plaire, que de ne pas mal penser de moi. Voilà donc, ajouta-t-elle en pleurant, le bonheur dont je m’étais flattée ? Ah ! Nassès ! était-ce de vous que je devais attendre un procédé aussi cruel ?

— « Mais, Zulica, répondit-il, croyez-vous que j’aie oublié la résistance que vous m’avez faite, et ce qu’il m’en a coûté pour obtenir de vous mon bonheur ?

— « Eh ! pensez-vous, reprit-elle en sanglotant, que je ne sente pas que vous me reprochez de ne m’être pas assez longtemps défendue ? Hélas ! entraînée par le goût que j’avais pour vous, plus encore que par celui que vous me marquiez, j’ai cédé sans craindre