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Page:Crébillon (Fils) - Le Sopha.djvu/229

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LE SOPHA

je trouvais dans mon âme mille ressources dont j’étais étonné de pouvoir faire si peu d’usage. Un seul regard portait le trouble et le feu dans mes sens ; mon imagination toujours bien au delà de mes plaisirs…

— « Ah ! Nassès ! Nassès ! s’écria vivement Zulica, que vous deviez être aimable ! Non, vous n’aimez plus comme vous aimiez alors.

— « Mille fois davantage, répliqua-t-il ; dans le temps dont je vous parle, je n’aimais point. Emporté par le feu de mon âge, c’était à lui, non à mon cœur, que je devais tous ces mouvements que je croyais de l’amour, et j’ai bien senti depuis…

— « Ah ! interrompit-elle, il est impossible que vous n’ayez point perdu à être désabusé. La jalousie, la défiance, mille monstres qu’alors vous vous seriez seulement fait scrupule d’imaginer, empoisonnent à présent vos plaisirs. Plus instruit, vous avez moins aimé, vous avez donc été moins heureux. Votre esprit n’a pu s’éclaircir qu’aux dépens de votre cœur ; vous raisonnez mieux sur le sentiment, mais vous n’aimez plus si bien. »

« Zulica opposa longtemps encore de mauvaises défaites aux empressements de Nassès. Enfin, elle parut se rendre, et après avoir tiré parole de lui qu’il ne l’estimerait pas moins :

— « Plus je me suis défendue de satisfaire votre curiosité, lui dit-elle, moins à présent