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LE SOPHA

le combattre. Les leçons du devoir, la crainte de me perdre dans le monde, soupirs, larmes, remords, tout fut inutile, ou, pour mieux dire, tout augmentait encore ce sentiment cruel dont j’étais tyrannisée. Ah ! Nassès ! quel ne fut pas mon plaisir, quand dans les soins respectueux, quoique empressés, de ce que j’adorais, je connus que j’étais aimée ! Quel trouble ! Quels transports ! Avec quel ménagement, quels égards, ne m’apprenait-il pas sa passion ! Quelle douleur d’être obligée de contraindre la mienne ! Que vous êtes heureux, Nassès ! de pouvoir, au premier mouvement dont votre âme est agitée, l’apprendre à l’objet qui le cause ; de ne pas connaître cette dissimulation si nécessaire pour nous conserver votre estime, mais si pénible pour un cœur tendre ! Combien de fois, en l’entendant soupirer auprès de moi, soupirai-je de douleur de ne l’oser faire pour lui. Quand ses yeux s’attachaient tendrement sur les miens, que j’y trouvais cette expression douce et langoureuse, que j’y trouvais enfin l’amour même ! Ah ! comment, dans ces instants qui me mettaient si loin de moi, avais-je la force de me dérober à cette volupté qui m’entraînait ! Enfin, il parla. Nassès ! vous ignorez le plaisir que donne ce tendre, ce charmant aveu. On ne vous dit qu’on vous aime qu’après vous l’avoir fait désirer, et quelquefois trop longtemps ; qu’après vous avoir