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LE SOPHA

fait redire mille fois que vous aimez : mais voir un amant timide, un amant adoré, mais qui ne sait pas son bonheur, pénétré de sentiment, de crainte, de respect, venir à vos pieds, vous déclarer tout ce qu’il sent pour vous ; manquer même d’expressions en voulant vous l’apprendre ; tremblant autant de l’émotion que son amour lui donne que de la crainte qu’il ne soit pas agréé ; voler au-devant de ses paroles, se les répéter tout bas, se les graver dans le cœur, en lui répondant qu’on ne le croit pas, se faire intérieurement un crime de son mensonge ; s’exagérer même ce qu’il vous dit ; ajouter à tout l’amour qu’il vous montre, celui que vous sentez pour lui ; Nassès ! croyez-moi, de tous les spectacles, de tous les plaisirs, ceux dont je vous parle sont assurément les plus doux.

— « Si la vanité suffit pour vous rendre agréable le spectacle que vous me peignez si vivement, répondit Nassès, je conçois que quand l’amour y mêle l’intérêt du cœur, il n’en est pas pour vous de plus satisfaisant. Mais enfin il parla, cet amant si tendrement aimé ; répondîtes-vous ?

— « Peignez-vous mon embarras, répliqua-t-elle ; combattue par l’amour et par la vertu, si la dernière ne l’emporta pas, du moins elle me servit à masquer l’autre, mais ce ne fut point autant que je le désirais. Livrée trop longtemps à ses discours, mon émotion dé-