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LE SOPHA

couvrit le secret de mon cœur, et en croyant ne lui répondre que froidement, ma bouche et mes yeux lui dirent mille fois que ma tendresse égalait la sienne.

— « C’est un malheur qui est arrivé à d’autres, répondit froidement Nassès ; eh bien ! qui était cet homme si dangereux, que le voir et l’aimer ne furent, malgré votre fierté naturelle, qu’une même chose ?

— « Que vous importe son nom ? demanda-t-elle : ne vous dis-je pas ce que vous vouliez savoir ?

— « Pas encore, répliqua-t-il, et vous sentez bien vous-même que la confidence n’est pas complète.

— « Eh bien ! répondit-elle, c’était le rajah Amagi.

— « Amagi ! s’écria-t-il ; quel temps avez-vous donc pris pour l’avoir ? Il est mon ami, il ne me cache rien, et je sais que, depuis qu’il est dans le monde, il n’a véritablement aimé que Canzade. Amagi ! répéta-t-il, mais ne vous tromperiez-vous point ?

— « Assurément, s’écria-t-elle à son tour, voilà une singulière question ; elle est unique !

— « Point du tout, reprit-il, vous allez voir qu’elle est fort simple. Amagi m’a dit que, malgré son extrême tendresse pour Canzade et le peu d’envie qu’il avait de lui manquer, il s’était quelquefois amusé ailleurs, parce qu’il y a des femmes qui font des avances si