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LE SOPHA

« Il y a sans doute, pour l’âme, des délices que le terme de plaisir n’exprime pas, pour qui même celui de volupté n’est pas encore assez fort. Cette ivresse douce et impétueuse où mon âme se plongea, qui en occupa si délicieusement toutes les facultés, cette ivresse ne saurait se peindre.

« Sans doute notre âme embarrassée de ses organes, obligée de mesurer ses transports sur leur faiblesse, ne peut, quand elle se trouve emprisonnée dans un corps, s’y livrer avec autant de force que lorsqu’elle en est dépouillée. Nous la sentons même quelquefois dans un vif mouvement de plaisir, qui, voulant forcer les barrières que le corps lui oppose, se répand dans toute sa prison, y porte le trouble et le feu qui la dévorent, cherche vainement une issue, et, accablée des efforts qu’elle a faits, tombe dans une langueur qui pendant quelque temps semble l’avoir anéantie. Telle est, à ce que je crois du moins, la cause de l’épuisement où nous jette l’excès de la volupté.

« Tel est notre sort, que notre âme, toujours inquiète au milieu des plus grands plaisirs, est réduite à en désirer plus encore qu’elle n’en trouve. La mienne, collée sur la bouche de Zéïnis, abîmée dans sa félicité, chercha à s’en procurer une encore plus grande. Elle essaya, mais vainement, à se glisser tout entière dans Zéïnis ; retenue dans