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LE SOPHA

J’avouerai cependant que, quand je lui entendis raconter ce songe, que j’avais cru qu’elle ne devait qu’à moi, que j’appris d’elle-même que l’image de Phéléas était la seule qui se fût présentée à elle, et que c’était au pouvoir qu’il avait sur ses sens, et non à mes transports, qu’elle avait dû ses plaisirs, il me resta peu d’espoir d’échapper au sort que je craignais tant. Moins délicat cependant que je n’aurais dû l’être, je me consolais du bonheur de Phéléas, par la certitude que j’avais de le partager avec lui. Quelque chose qu’il eût dite à Zéïnis de sa passion, et de la fidélité qu’il lui avait toujours gardée, il ne me paraissait pas possible qu’il fût parvenu à l’âge de quinze ou seize ans sans avoir eu au moins quelque curiosité qui l’empêcherait de délivrer mon âme de cette captivité qui m’avait longtemps paru si cruelle, et que je préférais dans cet instant au poste le plus glorieux qu’une âme pût remplir. Tout désespéré que j’étais de la faiblesse de Zéïnis, j’en attendis les suites avec moins de douleur, dès que je me fus persuadé que, quelque chose qui arrivât, je ne serais pas contraint de la quitter.

« Quelque affreuse que fût, pour moi, la tendre léthargie où ils étaient plongés, et que chaque soupir qu’ils poussaient paraissait augmenter encore, elle retardait les téméraires entreprises de Phéléas, et quoiqu’elle me prouvât à quel point ils sentaient leur bon-