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LE SOPHA

moi ? Zéïnis s’était précipitée dans les bras de son amant : l’amour, un reste de pudeur qui ne la rendait que plus belle, animaient son visage et ses yeux. Ce premier trouble dura longtemps. Phéléas et Zéïnis, tous deux immobiles respirant mutuellement leur âme, semblaient accablés de leurs plaisirs.

— Tout cela, dit alors le Sultan, ne vous faisait pas grand plaisir, n’est-il pas vrai ? Aussi de quoi vous avisiez-vous de devenir amoureux pendant que vous n’aviez pas de corps ? Cela était d’une folie inconcevable, car, en bonne foi, à quoi cette fantaisie pouvait-elle vous mener ? Vous voyez bien qu’il faut savoir raisonner quelquefois.

— Sire, répondit Amanzéi, ce ne fut qu’après que ma passion fut établie que je sentis combien elle devait me tourmenter, et, selon ce qui arrive ordinairement, les réflexions vinrent trop tard.

— Je suis vraiment fâché de votre accident : car je vous aimais assez sur la bouche de cette fille que vous avez nommée, reprit le Sultan : c’est réellement dommage qu’on vous ait dérangé.

— Tant que Zéïnis avait résisté à Phéléas, dit Amanzéi, je m’étais flatté que rien ne pourrait la vaincre, et lorsque je la vis plus sensible, je crus qu’arrêtée par les préjugés de son âge, elle ne porterait pas sa faiblesse jusques où elle pouvait faire mon malheur.