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LE SOPHA

« Dahis, à cet ordre, quittant l’air respectueux d’un esclave, prit celui d’un homme que l’on rend heureux. Il me parut peu délicat, peu tendre, mais vif et ardent, dévoré de désirs, ne connaissant point l’art de les satisfaire par degrés, ignorant la galanterie, ne sentant point de certaines choses, ne détaillant rien, mais s’occupant essentiellement de tout. Ce n’était pas un amant, et pour Fatmé qui ne cherchait pas l’amusement, c’était quelque chose de plus nécessaire. Dahis louait grossièrement ; mais le peu de finesse de ses éloges ne déplaisait pas à Fatmé, qui, pourvu qu’on lui prouvât fortement qu’elle inspirait des désirs, croyait toujours être louée assez bien.

« Fatmé se dédommagea avec Dahis de la réserve avec laquelle elle s’était forcée avec son mari. Moins fidèle aux sévères lois de la décence, ses yeux brillèrent du feu le plus vif ; elle prodigua à Dahis les noms les plus tendres et les plus ardentes caresses ; loin de lui rien dérober de tout ce qu’elle sentait, elle se livrait à tout son trouble. Plus tranquille, elle faisait remarquer à Dahis toutes les beautés qu’elle lui abandonnait, et le forçait même à lui demander de nouvelles preuves de sa complaisance, et que lui-même il n’aurait pas désirées.

« Dahis, cependant, paraissait peu touché. Ses yeux s’arrêtaient stupidement sur les ob-